CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Le matin du 24 février 2022, le quotidien français Libération titrait « La guerre a commencé en Ukraine ». Ce simple titre déclaratif suffisait à lui seul à révéler le fossé entre les perceptions prévalant à l’ouest et au centre-est du continent européen par rapport à la réalité polymorphe de la politique d’agression menée par la Russie dans son entourage occidental immédiat, en Ukraine, tout au long des huit années précédentes.
Depuis le séisme politique des manifestations pro-européennes de l’« Euromaïdan » – fin novembre-début décembre 2013, puis en février 2014, principalement à Kiev – contre le président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovytch, le Kremlin n’avait en effet eu de cesse d’intervenir en Ukraine de manière hybride et sous couvert de forces dites pro-russes pour y déstabiliser le nouveau pouvoir orienté vers la coopération avec l’Union européenne et l’Occident. Certes, clamant ne pas être impliqué directement ni dans l’opération militaire débouchant sur l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014, ni dans la proclamation successive de deux « républiques populaires » dans les régions de Donetsk et de Louhansk (Donbass, Ukraine), le pouvoir russe prétendait ne venir qu’en aide à des initiatives lancées sans sa contribution par les fameux « petits hommes verts ». Cela permettait ainsi à Moscou d’éviter habilement l’usage du terme « guerre » – réservé, au regard du droit international, aux conflits entre états. Force est de constater que la version officielle russe a fortement influencé le discours médiatique et politique dans de nombreux pays occidentaux, brouillant ainsi la réception collective des faits…

Français

L’invasion russe en Ukraine, par le changement de forme et d’échelle qu’elle signifie dans ce conflit en cours depuis au moins huit ans, a révélé les erreurs commises depuis le début des années 2000 par l’Allemagne dans son évaluation de la nature du régime russe et de ses intentions en Europe. Après avoir ignoré pendant des années les nombreux appels à la prudence des principaux acteurs d’Europe centrale et orientale, en particulier de la Pologne et des pays baltes, Berlin a dû brutalement opérer une révision complète de sa politique à l’est – à la fois dans le domaine de la défense et de la sécurité énergétique. Toutefois, au regard des hésitations persistantes du gouvernement allemand, le changement d’époque (Zeitenwende) annoncé par le chancelier Olaf Scholz peine à convaincre ses partenaires de Tallinn à Varsovie en passant par Vilnius, alors que le centre de gravité de l’Union européenne semble se déplacer vers l’est.

Deutsch

Polnische und baltische Wahrnehmungen der deutschen Politik im Konflikt zwischen Russland und der Ukraine seit Februar 2022

Russlands Überfall auf die Ukraine, der eine Veränderung der Form und des Ausmaßes dieses seit mindestens acht Jahren dauernden Konflikts bedeutet, hat die Fehler veranschaulicht, die Deutschland seit Beginn der 2000er Jahre in seiner Einschätzung der Natur des russischen Regimes und seiner Ziele in Europa gemacht hat. Nachdem Berlin jahrelang die zahlreichen Aufrufe zur Vorsicht der Hauptakteure in Ostmitteleuropa, vor allem Polens und der baltischen Staaten, ignorierte, wurde plötzlich eine vollständige Revision seiner Ostpolitik fällig – sowohl im Bereich der Verteidigung als auch der Energiesicherheit. Trotzdem fällt es schwer, angesichts der anhaltenden Zögerlichkeit der Bundesregierung, die Partner von Tallinn bis Warschau über Vilnius von der von Bundeskanzler Olaf Scholz angekündigten Zeitenwende zu überzeugen, während der Schwerpunkt der Europäischen Union sichtlich nach Osten rückt.

English

Polish and Baltic perceptions of German politics in the conflict between Russia and Ukraine since February 2022

Russia’s invasion of Ukraine – given the change both in form and scale that it meant for this conflict lasting at least for the past eight years – has showed the mistakes made by Germany since the 2000s concerning the assessment of the Russian regime’s nature and goals in Europe. After having ignored for several years the repeated appeals for prudence from main actors in Central and Eastern Europe, especially Poland and the Baltics, Berlin has suddenly been forced to achieve a complete revision of its policy towards the east – in the fields of defence as well as energy security. However, with regard to the German government’s ongoing hesitations, the new era (Zeitenwende) announced by chancellor Olaf Scholz fails to convince his partners from Tallinn to Warsaw over Vilnius, whereas the European Union’s centre of gravity seems to move eastward.

Pierre-Frédéric Weber
Université de Szczecin
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2023
https://doi.org/10.3917/all.243.0118
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