CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Selon le psychanalyste et théoricien de la paix Horst-Eberhard Richter, celui qui n’apprend pas ou ne parvient pas à contrôler ses agressions cherche des prétextes pour les justifier. Poussé par l’ambition impérialiste, le pouvoir russe s’est entouré d’un tissu de mensonges pour prétendre que sa guerre actuelle est « juste », et s’est empêtré – et le monde avec lui – dans une situation qui semble être inextricable. Ni la guerre d’agression et de conquête lancée le 24 février 2022 par le dictateur russe contre l’Ukraine, ni la conduite de la guerre par les forces russes, ni la reconnaissance des républiques de Donezk et de Louhansk le 22 février 2022, ni leur annexion le 30 septembre 2022, avec celles de Zaphorijia et de Cherson, ne sont acceptables en termes de droit international. Le prétexte pour l’invasion fabriqué par Poutine dans son discours du 24 février, un prétendu génocide contre les russophones en Ukraine, a été quasiment abandonné par Moscou dès lors que l’Ukraine lui a demandé des preuves pour son accusation devant la Cour Internationale de Justice au mois de mars 2022 (bien que devant son opinion publique et face aux pays du Sud, Moscou continue de parler de la nécessité de « dénazifier » l’Ukraine). Quelle honte pour une grande puissance d’affronter une cour indépendante capable de distinguer propagande et preuve ! De plus, la plus haute cour des Nations Unies a obligé la Russie de justesse, le 16 mars 2022, à stopper instamment ses opérations militaires, y compris celles des troupes irrégulières sous son contrôle, sur le territoire de l’Ukrain…

Français

Alors que les ambitions impériales de Poutine sont incompatibles avec l’ordre du droit international auquel l’URSS avait contribué, le gouvernement russe actuel mobilise des récits propagandistes accusant l’Occident d’être responsable pour la guerre russe de conquête et d’annihilation. Faisant allusion aux sentiments anti-occidentales bien enracinés, ces récits sont accueillis de manière favorable par une partie du monde. Répondant à ces accusations, cette contribution clarifie les origines de l’élargissement oriental de l’OTAN, réfute l’idée que l’OTAN aurait menacé la Russie, et réitère les vaines tentatives occidentales à intégrer la Russie dans des structures de coopération. Le problème réside dans le fait que les objectifs de Poutine ne sont atteignables que par l’utilisation de la force contre les États devenus indépendants depuis 1989/1991. Que le Sud global ne sympathise que partiellement avec la lutte des Ukrainiens pour l’autodétermination est une conséquence des déficits de communication de gouvernements occidentaux. Le gouvernement allemand, inexpérimenté dans les affaires étrangères, a ignoré le changement du discours et des pratiques politiques russes depuis 1999 et a continué à croire de pouvoir assurer la paix moyennant le dialogue et le commerce. Sa politique énergétique erronée, son désarmement massif et ses manquements par rapport aux obligations envers l’OTAN ont encouragé l’agression russe. Le discours du « tournant historique » d’Olaf Scholz indique que le gouvernement actuel a reconnu les erreurs du passé, mais le tournant est loin d’être mis sur les rails. Au contraire, la quête pour un rôle allemand dans le cadre d’une stratégie euro-atlantique d’endiguement d’une Russie agressive ne vient de commencer.

Deutsch

Deutschland und die russischen Narrative: Das Ende des Appeasement? Die „Zeitenwende“ auf der Suche nach einer Strategie

Die Unvereinbarkeit zwischen den imperialen Zielen Putins und den Normen der internationalen Rechtsordnung, zur der die Sowjetunion beigetragen hat, hat die russische Regierung bewogen, propagandistische Narrative zu entwickeln, die dem Westen die Verantwortung für den russischen Eroberungs- und Vernichtungskrieg zuschieben sollen. In Teilen der Welt fallen diese Narrative auf fruchtbaren Boden, weil sie etablierte antiwestliche Vorstellungen bedienen. Der Beitrag stellt dagegen die Hintergründe der NATO-Osterweiterung dar, widerlegt, dass die NATO Russland bedroht hätte und weist auf die nachhaltigen Versuche des Westens hin, Russland in kooperative Strukturen zu integrieren. Das Problem liegt vielmehr darin, dass Putins Ziele nur durch Gewalt gegen die seit 1989/1991 unabhängig gewordenen Staaten zu erreichen sind. Dass der globale Süden nur teilweise mit dem ukrainischen Kampf um Selbstbestimmung sympathisiert, ist auf Kommunikationsdefizite der westlichen Regierungen zurückzuführen. Die deutsche, in aussenpolitischen Dingen unerfahrene Politik hat den Wandel des politischen Diskurses und Handelns in Russland seit 1999 ignoriert und weiter geglaubt, Frieden könne durch Dialog und Handel bewahrt werden. Die verfehlte deutsche Energiepolitik, die massive Abrüstung und die jahrelange Nichterfüllung der NATO-Verpflichtungen haben die russische Aggression ermutigt. Die „Zeitenwende“-Rede von Kanzler Olaf Scholz deutete an, dass die Ampel-Regierung die Fehler erkannt hat, doch vollzogen ist sie damit noch lange nicht. Vielmehr hat die Suche nach der deutschen Rolle im Rahmen einer europäisch-atlantischen Strategie zur Eindämmung eines aggressiven Russlands erst begonnen.

English

Germany facing Russian narratives, the end of appeasement? The “Zeitenwende” in search of a strategy

Since Putin’s imperial ambitions are incompatible with the international legal order, to which the Soviet Union had contributed, the current Russian government mobilizes propagandistic narratives accusing the West of being responsible for Russia’s war of conquest and annihilation. As they appeal to anti-Western sentiments, these narratives fall on fertile ground in some parts of the world. In contrast, this contribution clarifies the background of NATO-enlargement, refutes the contention that a disarmed NATO threatened Russia, and points to the vain attempts by the West to integrate Russia into cooperative structures. The problem is rather that Putin’s current objectives can only be attained by violent aggression against the societies which opted for self-determination since 1989/1991. That the global South fails to sympathize with Ukraine is a consequence of Western governments’ clumsy communication. German foreign policy, surprisingly inexperienced, has ignored the change of Russian political discourse and practice which occurred since 1999, and continued to believe that peace can be maintained by dialogue and trade. The erroneous German energy policy, massive disarmament and the non-fulfilment of German obligations towards NATO have encouraged the current Russian aggression. The “turning-point” speech by chancellor Olaf Scholz indicates that the current coalition has recognized the errors of the past, but a year after it is far from having drawn precise conclusions. Rather, the search for a German role within a euro-atlantic strategy to contain an aggressive Russia has just begun.

Matthias Schulz
Professeur d’histoire des relations internationales et d’histoire transnationale à l’Université de Genève. Il adresse ses remerciements à Sandra Schulz-Gautier, Jean-Hubert Grasset et Hans Stark pour leurs relectures respectives. Toute erreur éventuelle est exclusivement la sienne. Ce manuscrit a été terminé une semaine avant la Conférence de sécurité de Munich (17-19 février 2023).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2023
https://doi.org/10.3917/all.243.0105
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