L’un des principaux objectifs de la démographie est de rendre visibles des populations invisibles, quelle que soit leur importance, en les dénombrant, parfois sur le long terme ; les résultats obtenus contribuent directement à la construction socio-historique des objets d’étude de notre discipline scientifique. Nous allons ainsi nous intéresser dans cette contribution à l’émergence de la précarité étudiante dans une perspective diachronique (Grignon, 2003 ; Gruel, 2009 ; Landrier et al., 2017), illustrée par la publication régulière des enquêtes Conditions de vie de l’OVE (Observatoire de la vie étudiante) jusqu’à aujourd’hui (Tenret, 2019 ; Collet, Landrier, 2019). Si la condition étudiante est traditionnellement associée au présent d’une vie privilégiée et à un meilleur avenir professionnel, la précarité en est la négation ; elle est caractérisée par un quotidien très difficile et une insertion professionnelle très aléatoire ; son apparition et son développement sont paradoxaux et déstabilisateurs.
Trois faits emblématiques empruntés à l’actualité la plus récente de la démographie estudiantine dans le monde éclairent des tendances de fond depuis vingt-cinq ans et peuvent contribuer, nous semble-t-il, à comprendre l’ancrage de ce phénomène sur le long terme, dans un contexte pluridécennal de « massification » de l’enseignement supérieur progressivement lié à la « montée des incertitudes » (Castel, 2009) et à l’extension du déclassement (Maurin, 2009 ; Peugny, 2009 ; Bourdieu, 1978), particulièrement en milieu universitaire (Nauze-Fichet, Tomasini, 2002 ; Van de Velde, 2016a)…