CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1L’adolescence est la période de la découverte des produits psychoactifs, et notamment des plus courants d’entre eux, à savoir le tabac, l’alcool et le cannabis (Beck et al., 2007 ; Legleye et al., 2009). Depuis la fin des années 1990, de nombreuses données sont disponibles en France, contribuant à nourrir l’intérêt sur ce phénomène. Cependant, une telle attention ne doit pas occulter celle qu’il est nécessaire de porter aux comportements des jeunes adultes (actifs occupés, chômeurs ou étudiants) qui font, eux aussi, partie de la jeunesse. Par contraste, les enquêtes représentatives concernant spécifiquement les jeunes adultes sont plus rares : en effet, il n’existe pas pour cette population de base de sondage national spécifique comme pour les adolescents. Faute de se restreindre à des populations particulières qui ne sont pas représentatives de l’ensemble de leur génération, la meilleure solution est de s’appuyer sur des enquêtes en population générale adulte. Des enquêtes telles que le Baromètre santé de l’INPES ou l’enquête Évènements de vie et santé (EVS), réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), permettent d’observer les usages des substances psychoactives, et en particulier l’alcoolisation de plusieurs générations d’individus, et d’observer les spécificités des jeunes adultes.

2Ce travail synthétise les résultats des enquêtes représentatives de la population jeune adulte et adolescente et les principales évolutions observées ces dernières années. Une enquête scolaire menée auprès de jeunes de 16 ans, une enquête auprès d’adolescents de 17 ans et deux autres en population générale dont l’exploitation concerne ici les 15-30 ans ont été mobilisées. L’enquête scolaire permet par ailleurs une utile comparaison avec les autres nations européennes.

Méthode

Les données mobilisées dans cette étude pour suivre la consommation d’alcool des Français proviennent des enquêtes suivantes : HBSC (Health Behaviour in School-aged Children) [Spilka et al., 2012], ESPAD (European School Survey on Alcohol and Other Drugs) [Legleye et al., 2009], ESCAPAD (Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense) [Legleye et al., 2009 ; Spilka et al., 2012] de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ESPS (Enquête Santé Protection Sociale) [Com-Ruelle et al., 2008], Baromètres santé (Legleye, Beck, 2007). L’enquête Évènements de vie et santé (EVS), menée en 2005 auprès de personnes âgées de 18 à 75 ans propose également une analyse spécifique sur les usages de substances psychoactives des jeunes adultes (Beck et al., 2010).
Les indicateurs utilisés pour observer la consommation d’alcool sont les suivants :
  • consommation d’alcool au cours des douze derniers mois : au moins une fois/au moins une fois par semaine/quotidienne ;
  • ivresse au cours de la vie ;
  • ivresse au cours des douze derniers mois : au moins une fois/au moins trois fois (ivresses répétées)/au moins dix fois (ivresses régulières) ;
  • consommation ponctuelle importante (CPI) : avoir bu six verres et plus en une même occasion au cours des douze derniers mois.
Ces différents indicateurs, classiquement utilisés dans les enquêtes françaises ESPAD, ESCAPAD et Baromètres santé, nous permettent de comparer les résultats obtenus selon les différentes classes d’âge.

Spécificités de la consommation des 15-30 ans par rapport aux autres tranches d’âge

3Relativement aux autres classes d’âge de la population, la consommation d’alcool des 15-30 ans présente plusieurs spécificités. La consommation quotidienne d’alcool est très rare (2,5 % de cette population), alors qu’elle augmente progressivement avec l’avancée en âge pour concerner plus d’un quart des 61-75 ans. Inversement, entre 15 et 30 ans culminent les taux de consommation ponctuelle importante (CPI) mensuelle et les épisodes d’ivresse dans l’année, soit respectivement 25,5 % et 38,6 % des 15-30 ans. Alors que la fréquence des ivresses se raréfie rapidement avec l’âge, les CPI diminuent de manière moins marquée (18 % des 31-45 ans, 16,2 % des 46-60 ans), signe probable que ce type de consommation s’inscrit petit à petit plus dans une habitude de consommation que dans une recherche d’ivresse.

Figure 1

Évolution des modes de consommation d’alcool avec l’âge (en %)

Figure 1

Évolution des modes de consommation d’alcool avec l’âge (en %)

Source : Baromètre santé 2010, INPES.

Évolution des consommations entre 2005 et 2010

Fréquences de consommation, d’ivresse et de CPI

4En 2010, l’alcool demeure la substance psychoactive la plus consommée, 90,7 % des personnes de 15 à 30 ans déclarant en avoir bu au cours de leur vie, 82,2 % au cours des douze derniers mois. Ces chiffres, en légère hausse relativement à 2005 où la consommation annuelle concernait 78,7 % de la population (p<0,001), apparaissent cohérents avec les consommations déclarées à 16 et 17 ans (Legleye et al., 2009 ; Spilka et al., 2012).

5La consommation hebdomadaire d’alcool, stable en population générale, se révèle en légère hausse à partir de 20 ans et l’usage quotidien, en nette baisse en population générale, est stable parmi les 15-30 ans, quoique concernant une très faible minorité de ces jeunes (2,5 %), la rareté de ce comportement concordant avec les déclarations des jeunes de 17 ans (1 % en 2011).

6Si la fréquence globale de consommation d’alcool a peu évolué depuis 2005, les épisodes d’ivresse ainsi que les CPI ont sensiblement augmenté, et ce pour tous les âges entre 15 et 30 ans, pour les garçons comme pour les filles.

7En 2010, un tiers des 15-19 ans ont rapporté avoir connu au moins une ivresse au cours des douze derniers mois, contre un quart en 2005. C’est parmi les 20-25 ans que les ivresses sont les plus nombreuses : 57,5 % des garçons et 33,5 % des filles en ont déclaré une dans l’année. Ces tendances se retrouvent en ce qui concerne les CPI, les évolutions les plus prononcées s’observant parmi les jeunes hommes de 26-30 ans, 40,4 % rapportant des CPI mensuelles en 2010 contre 27,3 % en 2005, et parmi les jeunes filles de 20-25 ans, dont cette même proportion est passée de 11 % à 17,5 % (tableau 1).

Tableau 1

Description des consommations d’alcool des 15-30 ans, en 2005 et 2010, par sexe et classe d’âge (en %)

Tableau 1
Consommation d’alcool (hebdomadaire) Concommation ponctuelle importante (mensuelle) Ivresse (au moins une fois au cours de l’année) 2005 2010 2005 2010 2005 2010 Hommes 15-19 ans 28,0 29,2 24,1 27,6 30,3 40,8*** 20-25 ans 48,2 50,2 36,0 42,0* 48,3 57,4*** 26-30 ans 50,2 59,1*** 27,3 40,4*** 38,8 49,6*** Femmes 15-19 ans 11,6 12,1 9,7 12,9* 18,6 25,0** 20-25 ans 20,3 26,8*** 11,0 17,5*** 19,1 33,5*** 26-30 ans 23,4 24,6 8,4 9,6 12,8 21,2*** Ensemble 15-19 ans 19,9 20,9 17,1 20,4* 24,5 33,1*** 20-25 ans 34,5 38,6* 23,7 29,9*** 34,0 45,6*** 26-30 ans 37,8 42,3** 18,5 25,4*** 26,7 35,8***

Description des consommations d’alcool des 15-30 ans, en 2005 et 2010, par sexe et classe d’âge (en %)

*, **, *** : test du Chi² de Pearson significatif aux seuils 0.05, 0.01, 0.001.
Sources : Baromètres santé 2005 et 2010, INPES.

8Ces tendances à la hausse sont confirmées par les évolutions des fréquences d’épisodes d’ivresse déclarée à 17 ans entre 2008 et 2011 : stabilité des ivresses au cours de l’année, mais augmentation des ivresses répétées et régulières, atteignant ainsi les niveaux les plus élevés enregistrés depuis 2001 (Spilka et al., 2012). L’augmentation des ivresses a également été observée entre 2003 et 2007 à 16 ans, puisque les ivresses annuelles sont passées de 29 % à 36 %, les ivresses répétées de 11 % à 14 %, et les ivresses régulières de 2,3 % à 3,3 % (Legleye et al., 2009). Seuls les indicateurs d’expérimentation de l’ivresse observés entre 11 et 15 ans sont apparus à la baisse (Spilka et al., 2013).

9Mis à part pour les fréquences de consommation d’alcool, annuelle ou hebdomadaire, l’évolution de l’ensemble des indicateurs évoque un rapprochement des consommations entre hommes et femmes. Les sex-ratios (rapports de fréquence de consommation entre garçons et filles) concernant les ivresses et CPI ont en effet tous diminué entre 2005 et 2010, les rapprochements étant particulièrement visibles parmi les 20-25 ans. Une telle baisse des sex-ratios avait également été observée pour les jeunes de 16 ans entre 2003 et 2007 (Legleye et al., 2009).

Consommations, statut d’activité, facteurs associés

10Les évolutions analysées selon le statut d’activité montrent que si les tendances générales sont similaires elles se révèlent bien plus prononcées parmi les étudiants et les chômeurs/inactifs que parmi les actifs occupés. Ainsi, par exemple, les ivresses dans l’année concernent la moitié des étudiants en 2010 (50,5 %) et 39,2 % des actifs occupés, alors que ces proportions étaient similaires en 2005. Sur l’ensemble des indicateurs de consommations excessives (CPI et ivresses), les étudiants sont de loin les plus concernés et ceux pour qui l’augmentation est la plus franche : en 2010, 42,3 % des étudiants ont une consommation à risque ponctuel, alors qu’ils étaient 35,8 % en 2005.

11Les chômeurs/inactifs sont également concernés par les CPI hebdomadaires (13 %) et la consommation à risque chronique ou de dépendance (16,4 %), avec des proportions qui ont doublé en cinq ans. Ces résultats doivent toutefois être relativisés par le fait qu’au sein de cette tranche d’âge, les personnes travaillant sont nettement plus âgées que les étudiants.

12L’analyse des facteurs associés aux ivresses met en avant, pour les jeunes femmes, un profil d’« étudiant à usage excessif d’alcool », caractérisé par des usages moins fréquents mais un rapport plus étroit à l’ivresse. Par contraste, les actifs du même âge ont un comportement d’usage qui apparaît plus proche de celui des générations plus âgées. Ces tendances confirment celles observées en 2005, qui soulignaient de faibles différences selon le statut scolaire et professionnel parmi les jeunes hommes alors que parmi les femmes, les étudiantes se distinguaient par de sensibles surconsommations (Legleye et al., 2008). Pour les jeunes hommes, les consommations à risque ponctuel apparaissent moins répandues parmi les personnes ayant les revenus les plus faibles, tandis que seul le risque de consommation à risque chronique semble associé à la situation de chômage ou d’inactivité.

13De même, à 17 ans, les adolescents scolarisés dont l’un des parents est cadre, bénéficiant de fait de facteurs sociaux assez favorables, présentent des niveaux d’ivresses supérieurs (Legleye et al., 2009). La relation entre alcool et classes populaires doit donc être nuancée, les jeunes des milieux populaires étant en effet plutôt moins consommateurs d’alcool que les autres (Beck et al., 2009). L’enquête HBSC de 2010 montrait des résultats similaires pour les collégiens de 11-15 ans : le milieu social favorisé et la vie en famille recomposée ou monoparentale sont associés à la consommation d’alcool et à l’ivresse (Spilka et al., 2012).

Éléments de comparaisons internationales

14Si des efforts ont été réalisés dans le sens d’une amélioration de la comparabilité des enquêtes menées dans les différents pays européens ces dernières années (Bloomfield et al., 2006), les comparaisons internationales restent délicates en population adulte dans la mesure où les méthodes varient d’un pays à l’autre et où les indicateurs ne sont pas toujours les mêmes. À l’adolescence, en revanche, l’enquête ESPAD permet d’effectuer un tel exercice de manière tout à fait fiable puisque le protocole d’enquête a été conçu spécialement dans cet objectif (Hibell et al., 2009).

15L’enquête ESPAD montre que, depuis 1995, les différences nationales en matière d’alcoolisation restent marquées, même si elles le sont plutôt de moins en moins. L’appartenance à la jeunesse semblerait prendre progressivement le pas sur l’appartenance nationale. On peut distinguer au niveau européen deux profils pour les consommations d’alcool : l’un nordique avec des usages réguliers plutôt faibles mais par contre avec des épisodes d’ivresse plus importants, et l’autre latin où les usages réguliers apparaissent plus importants mais les épisodes d’ivresse plus rares, la France se rapprochant de ce dernier portrait.

16En effet, la consommation régulière d’alcool apparaît quasiment inexistante dans des pays comme la Suède, la Finlande ou la Norvège (1 %). Les jeunes Français affichent un niveau d’usage régulier (13 %) comparable à ceux des jeunes Portugais, Italiens ou encore Bulgares et Croates. Concernant l’ivresse, les pays méditerranéens présentent des niveaux d’ivresse parmi les plus faibles d’Europe. À l’inverse, les pays nordiques et anglo-saxons, ainsi qu’une grande partie des pays d’Europe centrale et de l’Est, affichent, pour la plupart, des niveaux supérieurs à la moyenne (figure 2).

Enseignements et perspectives

17Les usages réguliers d’alcool des jeunes adultes apparaissent plus fréquents que ceux observés au cours de l’adolescence, ce qui tend à montrer une certaine diffusion de ce comportement au-delà de l’adolescence.

Figure 2

Comparaison européenne des usages à 16 ans (ESPAD 2007)

Figure 2

Comparaison européenne des usages à 16 ans (ESPAD 2007)

Sources : ESPAD 2007, CAN (Hibell et al., 2009).

18Les évolutions mesurées entre 2000 et 2005 sur la tranche d’âge des 15-30 ans avaient montré une baisse des niveaux de consommation de boissons alcoolisées, ainsi qu’un léger recul des ivresses, au moins chez les garçons (Beck et al., 2009). Ces indicateurs apparaissent désormais en hausse entre 2005 et 2010, en particulier chez les jeunes femmes. Il faut toutefois garder à l’esprit que l’évolution observée n’est pas non plus une spécificité des jeunes, dans la mesure où elle connaît une augmentation similaire dans le reste de la population.

19La comparaison des données des enquêtes menées à l’adolescence reposant sur un questionnaire autoadministré avec celles menées auprès d’adolescents et de jeunes adultes par téléphone montre des niveaux d’usage plus souvent déclarés sur le questionnaire papier. En effet, le questionnaire autoadministré apparaît particulièrement bien adapté à ces tranches d’âges (Turner et al., 1998), et il est probable que le téléphone induise une sous-déclaration des comportements d’alcoolisation évoqués. Toutefois, ce type de biais ne joue pas sur la mesure des évolutions entre deux exercices d’une même enquête et n’est donc pas de nature à remettre en cause les tendances observées.

Des différences de genre de moins en moins nettes

20Même si on assiste de plus en plus clairement à un changement de modèle avec des différences de genre de moins en moins nettes, dans le sillage de ce qui est observé depuis plusieurs décennies dans les pays nordiques et, dans une moindre mesure, anglo-saxons (Beck et al., 2006), la consommation de boissons alcoolisées demeure en 2010 un comportement plus fortement masculin. Les données des différentes enquêtes mobilisées montrent en effet une persistance des usages sexués de consommation d’alcool, qui peuvent s’expliquer notamment par des processus de socialisation et des modèles normatifs sexuellement différenciés qui existent par ailleurs. Ainsi, la France, comme les autres pays d’Europe du Sud, reste un pays où l’abus d’alcool chez les femmes est socialement mal accepté. Le décalage constaté entre les pratiques des filles et celles des garçons peut s’expliquer par l’existence d’un contrôle parental plus sévère sur les sorties féminines, celles-ci restant beaucoup plus confinées au domicile familial que les garçons et connaissant moins que ces derniers les formes variées de la sociabilité du groupe des pairs.

Une consommation festive, entre pairs, « normalisée »

21En France, la consommation d’alcool est fortement intégrée aux relations sociales (repas de famille ou entre amis, célébrations…) et s’avère plutôt moins stigmatisée que dans d’autres pays (Bloomfield et al., 2006). Au-delà des années collège et lycée, les jeunes prennent plus ou moins progressivement leurs distances avec l’univers familial. Cela se manifeste par le fait que certains domaines de leur vie échappent de plus en plus au contrôle parental (Peretti-Watel et al., 2007). Entre 15 et 30 ans, et en particulier à l’adolescence, la consommation d’alcool a surtout lieu le week-end, entre amis, dans des occasions festives, la plupart du temps dans un domicile privé, un peu plus rarement dans des débits de boissons, mais aussi dans les lieux extérieurs (rue, parc…). Les jeunes qui ont une sociabilité intense, qui fréquentent souvent les bars et les soirées entre amis, consomment plus souvent de l’alcool que les autres (Legleye et al., 2007 et 2009). Les raisons de l’alcoolisation invoquées par les jeunes reposent surtout sur le plaisir de la fête et la quête de l’ivresse, tandis que la recherche de la « défonce » ne concerne qu’une petite minorité de jeunes à 17 ans (Legleye et al., 2009). L’alcool se consomme prioritairement en groupe, autrement dit les consommations strictement solitaires sont rares à l’adolescence. Le lien fort entre fréquence des sorties entre amis et usage régulier de boissons alcoolisées apparaît assez tôt pendant l’adolescence, au point que les filles qui sortent beaucoup sont aussi nombreuses que les garçons à boire régulièrement de l’alcool. Par ailleurs, certains travaux soulignent l’aspect compétitif de la consommation d’alcool, surtout chez les garçons, cette fois, avec l’idée de « tenir le coup », de « tenir l’alcool ». Pour comprendre l’alcoolisation des jeunes, il est par conséquent nécessaire de tenir compte de la variété des situations : le poids de la culture, de la position de l’acteur dans le champ social ainsi que de ses dispositions propres et de son mode de vie.

22Les motivations de l’alcoolisation juvénile sont nombreuses et variées, que l’on se réfère à l’anthropologie (ancrage culturel du boire, rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte), à la psychologie (mal-être et désir de transgression liés à l’adolescence), à la sociologie (baisse de l’influence des parents, pression scolaire qui justifierait des périodes récurrentes de « lâcher prise », influence du milieu de vie), aux statistiques et aux paroles d’experts spécialisés dans la prise en charge des jeunes ayant des problèmes avec l’alcool (qui ne sont bien sûr pas représentatifs de l’ensemble des jeunes puisqu’ils sont une faible minorité). D’après les observations des professionnels travaillant au contact de la jeunesse, les jeunes ne se dissimulent plus quand ils boivent et parlent sans tabou de leur consommation. Il existe une normalisation de la consommation d’alcool chez les filles, citée par les garçons comme nouvelle, sans connotation négative (Aubertin et al., 2010).

Les risques sanitaires des consommations ponctuelles importantes

23Ces constats laissent également apparaître un rapprochement avec des consommations observées depuis longtemps dans d’autres pays membres de l’Union européenne, en particulier dans les pays nordiques et anglo-saxons, qui se caractérisent par une consommation non quotidienne, des épisodes de CPI parfois très importantes (associées au binge drinking, une pratique qui consiste à boire plusieurs verres d’alcool en une même occasion dans une perspective de « défonce » [Jefferis et al., 2005]), ainsi qu’une acceptation sociale plus élevée de l’ivresse publique (Anderson et al., 2012).

24Les enquêtes récentes montrent que la consommation de boissons alcoolisées est répandue et en hausse chez les 15-30 ans. Les CPI concernent près de la moitié des jeunes dès la fin de l’adolescence. Or ces pratiques présentent des risques sanitaires élevés, en particulier lorsqu’elles surviennent de façon précoce (Beck et al., 2007). Ces risques s’expriment en termes d’accidents domestiques, d’accidents de la route, ainsi que de comas éthyliques et d’autres complications somatiques graves, de violences associées, ou encore d’installation durable dans un usage à risque de dépendance. L’ensemble de ces éléments souligne l’importance de la poursuite des efforts des autorités publiques, des éducateurs, des acteurs de prévention et des associations dans la réduction de la fréquence des ivresses et des CPI ainsi que dans la recherche de stratégies pour en réduire les complications potentielles.

25Pour conclure, il convient de rappeler que si l’alcool est déjà très présent à l’adolescence en France, la majorité des jeunes, au premier rang desquels les filles et les jeunes femmes, présentent une consommation n’atteignant pas un rythme hebdomadaire et n’ont pas connu d’ivresse au cours de l’année. Le contexte de hausses récentes observées en particulier dans des comportements évoquant les épisodes de binge drinking anglo-saxons ne doit donc pas laisser entendre que l’ensemble de la jeunesse est en proie à une alcoolisation massive.

Français

La consommation d’alcool des 15-30 ans se caractérise par une consommation quotidienne assez rare (2,5 % de cette population), mais des taux de consommation ponctuelle importante (25,5 %) et d’ivresse (38,6 %) plus élevés que ceux de leurs aînés. Bien qu’une majorité de jeunes ait une consommation sans risque particulier, les consommations excessives apparaissent en hausse par rapport à 2005, pour les garçons comme pour les filles. Si ces comportements restent masculins, un rapprochement entre les sexes est observé, avec, pour les jeunes femmes en particulier, un profil caractérisé par des consommations peu fréquentes mais des ivresses plus répandues.

Español

La alcoholización de los jóvenes

Desde los consumos puntuales importantes hasta el aumento

El consumo de alcohol de los jóvenes de entre 15 y 30 años se caracteriza por un consumo diario bastante escaso (2,5 %de esta población), pero por unas tasas de consumo puntual importante (25,5 %) y de ebriedad (38,6 %) más elevados que los de sus mayores. Aunque una mayoría de jóvenes tiene un consumo sin riesgo particular, los consumos excesivos muestran un aumento respecto al 2005, para los chicos como para las chicas. Si estos comportamientos permanecen masculinos, se observa un avecindamiento entre los sexos, con, para las mujeres jóvenes en particular, un perfil caracterizado por unos consumos poco frecuentes pero unas ebriedades más extendidas.

Deutsch

Der alkoholverbrauch der jugendlichen

Steigende hohe punktuelle konsumverhaltensweisen

DerAlkoholkonsum der 15-30 jährigen kennzeichnet sich durch einen relativ seltenen Tagesverbrauch (2,5% dieser Bevölkerung) aber durch hohe punktuelle Konsumwerte (25,5%) und Trunkenheitswerte (38,6%), die höher sind als die der Erwachsenen. Obwohl eine Mehrheit der Jugendlichen einen Konsum ohne besonderes Risiko haben, weisen die übertriebenen Konsumarten eine Steigerung im Vergleich zu 2005 auf und dies sowohl bei den Jungs als auch bei den Mädchen. Diese Verhaltensweisen bleiben zwar männlich aber eine Annäherung der Geschlechter wird beobachtet und insbesondere bei den jungen Frauen ein Profil, das durch nicht häufige Konsumarten aber durch häufigere Trunkenheit gekennzeichnet wird.

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Jean-Baptiste Richard
Chargé d’études et de recherche, département des enquêtes et analyses statistiques, INPES.
Thèmes de travail : enquête en population générale, addictions (alcool, drogues illicites, jeux d’argent), accidents, sommeil.
A notamment publié
Beck F., Richard J.-B., « Épidémiologie de l’alcoolisation en France », EMC. Endocrinologie-Nutrition, 2012 (article 10-384-B-10).
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François Beck
Responsable du département des enquêtes et analyses statistiques à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et chercheur au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (CERMES3, équipe CESAMES, université Paris-Descartes, EHESS, CNRS UMR 8211, INSERM U988).
Thèmes de recherche : méthodologie des enquêtes sur sujets sensibles en population générale et adolescente ; sociologie des usages de substances psychoactives ; genre et usages de drogues ; épidémiologie du sommeil et de la santé mentale.
A notamment publié
Beck F., « Le tabagisme des adolescents. Regards croisés de l’épidémiologie et de la sociologie », Médecine/science (m/s), no 3, vol. XXVII, mars 2011, pp. 308-310.
Beck F., Cavalin C., Maillochon F. (dir.), Violences et santé en France. État des lieux, La Documentation française, Paris, 2010.
Beck F., Guignard R., Obradovic I., Gautier A., Karila L., « Le développement du repérage des pratiques addictives en médecine générale en France », Revue d’épidémiologie et de santé publique, no 5, vol. LIX, 2011, pp. 285-294.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/03/2013
https://doi.org/10.3917/agora.063.0076
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