1La santé des jeunes est au cœur du débat public depuis quelques années. Un plan « Santé des jeunes » centré sur les 16-25 ans a été présenté par le ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports en février 2008, suivi d’une série de mesures spécifiques énoncées dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires en juillet 2009. Le président de la République François Hollande en a également fait une des priorités de son mandat en termes d’actions relevant du champ sanitaire et social. Cette préoccupation politique autour des jeunes trouve sans doute son origine plus dans une sanitarisation des questions sociales (Fassin, 1998) que dans une situation sanitaire qui n’apparaît pas particulièrement alarmante (Sommelet, 2007 ; Loncle, 2007). Une telle attention des pouvoirs publics entraîne de fait un besoin de connaissance sans cesse renouvelé, non seulement sur l’état de santé, mais aussi, surtout lorsqu’il s’agit des jeunes, sur les comportements de santé.
2Un certain nombre de ces comportements, tels que la consommation de substances psychoactives, les troubles des conduites alimentaires, les rapports sexuels non protégés, constituent des enjeux de santé publique à court et plus long terme puisqu’ils peuvent à la fois avoir des répercussions immédiates sur la santé des jeunes (suicides, infections, accidents…), entraîner une mauvaise santé à l’âge adulte, et favoriser l’entrée dans la dépendance quand il s’agit d’expérimentation précoce de substances psychoactives. La jeunesse est inévitablement une période de prise de risques et d’engagement dans de nouvelles conduites. De ce fait, et parce qu’elle représente l’avenir de la nation, elle se trouve souvent étudiée au prisme de facteurs de risques et, moins souvent, de facteurs de protection, alors même que ses différentes activités sont susceptibles de s’inscrire dans des logiques sociales plus complexes et plus nuancées (Peretti-Watel et al., 2007).
3Le regard des sciences sociales et de l’épidémiologie sur la santé des adolescents et des jeunes adultes est essentiel en ce qu’il permet d’objectiver et de quantifier, mais aussi de mieux comprendre cette période de la vie particulièrement propice au changement. Celle-ci se trouve en effet constituée de transformations, de tentations et de transgressions, de prises d’initiatives et de prises de risques. Le recours aux enquêtes représentatives menées auprès des jeunes permet de dépasser le stade de l’émotion, le sens commun et les rengaines alarmistes – « l’alcool et les drogues déferlent sur les jeunes », « les pratiques sexuelles des jeunes sont de plus en plus précoces »… – pour rendre compte des pratiques de la jeunesse à travers une description de leurs comportements actuels reposant sur leurs propres déclarations. Or, le constat épidémiologique apparaît nuancé, avec des indicateurs montrant des tendances positives et d’autres plus inquiétantes comme le lecteur pourra s’en convaincre.
4L’ambition de ce dossier est de traiter ces questions de manière objective en essayant de resituer ces pratiques diverses dans le quotidien des adolescents et des jeunes adultes, afin notamment de distinguer, parmi des comportements qui relèvent naturellement de l’âge des possibles, ceux qui reflètent des situations problématiques sur le plan social ou sur le plan sanitaire. Il s’agit aussi de porter un regard quantitatif et comparatif sur les comportements de santé des jeunes : dans quelle mesure ces comportements sont-ils spécifiques ? Comment ont-ils évolué ces dernières années ? Quel est le poids du social dans la détermination de ces comportements trop souvent considérés comme purement individuels ? En quoi le fait d’être jeune change-t-il le rapport à la santé et le regard porté sur celle-ci ?
5La tranche d’âge proposée, les 15-30 ans, permet d’embrasser un ensemble de situations très hétérogènes. Elle est constituée de séquences du cycle de vie observées dans la société contemporaine, avec notamment un report de la décohabitation du foyer parental, un allongement du temps des études et un recul de la temporalité des engagements familiaux (Galland, 2000), avec, par exemple, un âge moyen au premier enfant qui atteint désormais 30 ans (Robert-Bobée et al., 2006 ; Pison, 2010). Il ne s’agit pas bien sûr de résumer en quelques chiffres la jeunesse, mais plutôt de proposer des ordres de grandeur, quelques facteurs associés aux conduites comme autant de notions qui permettent au débat de s’initier sur des données plus solides que des idées reçues ou des partis pris qui ne seraient pas toujours fondés, tout en interprétant ces statistiques dans une démarche compréhensive. La force des données mobilisées, issues du Baromètre santé, est de permettre à la fois une comparaison des jeunes (15-30 ans) avec les autres âges de la vie, ce qui n’est pas possible dans les enquêtes portant exclusivement sur les jeunes, mais aussi une comparaison entre les jeunes eux-mêmes, que ce soit en termes d’âge encore une fois (en mettant en parallèle les 15-19 ans avec les 20-25 ans et avec les 26-30 ans), de genre, ou de statut d’activité (par exemple parmi les 6 004 jeunes de 15-30 ans interrogés, l’échantillon comporte 2 276 étudiants, dont 956 étudiants à l’université, 2 867 actifs occupés et 861 chômeurs ou inactifs). Cette capacité est cruciale dans la mesure où entre 15 et 30 ans, les situations se révèlent souvent radicalement différentes, avec un glissement plus ou moins progressif de l’adolescence vers l’âge adulte, dans une période d’entrée dans la vie active qui peut s’étaler et durant laquelle les différences sociales pèsent lourdement sur les attitudes et les comportements de santé.
Une enquête représentative de grande ampleur à la méthodologie novatrice
6Pour concevoir ses actions de prévention, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) doit connaître et comprendre les attitudes et les comportements de santé de la population : il mène donc en France métropolitaine, depuis 1992, des enquêtes périodiques en population générale, les Baromètres santé (Baudier et al., 1994 ; Beck et al., 2007). Celles-ci offrent de nombreuses données aux acteurs et décideurs de santé publique sur les pratiques et les connaissances de la population en matière de santé.
7Ces enquêtes transversales, déclaratives et multithématiques sont reconduites à un rythme quinquennal. Elles reposent sur des échantillons probabilistes à deux degrés (tirage au sort d’un foyer, puis d’un individu au sein de celui-ci) et sont réalisées par collecte assistée par téléphone et informatique (CATI). L’enquête menée en 2010, confiée à l’institut Gfk ISL, s’est déroulée du 22 octobre 2009 au 3 juillet 2010. Pour avoir une base de sondage la plus exhaustive possible, ont été intégrés, en plus des foyers équipés d’une ligne fixe (listes rouge et orange comprises), les foyers joignables uniquement par téléphonie mobile. Les numéros de téléphone ont été générés aléatoirement, ce qui permettait d’interroger aussi les ménages sur liste rouge. L’annuaire inversé était utilisé pour envoyer une lettre-annonce aux ménages sur liste blanche (ceux sur liste rouge se la voyaient proposer a posteriori), mettant l’accent sur l’importance de l’étude afin de minorer les refus de répondre. Si les numéros de téléphone ne répondaient pas ou étaient occupés, ils étaient alors recomposés automatiquement jusqu’à quarante fois, à des horaires et des jours de la semaine différents, l’enquêteur raccrochant à chaque fois après huit sonneries. Pour être éligible, un ménage devait comporter au moins une personne de la tranche d’âge considérée (15 à 85 ans dans le cadre du Baromètre santé 2010) et parlant français.
8À l’intérieur du foyer, un seul individu était sélectionné aléatoirement au sein des membres éligibles du ménage selon la méthode proposée par Leslie Kish (1949). En cas d’indisponibilité, un rendez-vous téléphonique était proposé, et en cas de refus de participation, le ménage était abandonné sans être remplacé. L’anonymat et le respect de la confidentialité étaient garantis par une procédure d’effacement du numéro de téléphone ayant reçu l’aval de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
9Comme pour l’ensemble des sondages téléphoniques français, et comme cela est également observé depuis plusieurs années au niveau mondial (Tuckel, O’Neill, 2002), la participation des personnes sollicitées s’est révélée plus difficile que pour les précédentes vagues (Beck et al., 2008) : le taux de refus observé a ainsi progressé au cours de la dernière décennie et s’élève à 39 % en 2010. Pour faire face à l’abandon du téléphone filaire au profit du mobile par une partie de la population présentant des caractéristiques particulières en termes de comportements de santé (Gautier et al., 2006 ; Beck et al., 2005), un échantillon de 2 944 individus issus de ménages joignables uniquement sur leur téléphone mobile a été interrogé en plus des 24 709 individus possédant une ligne fixe à leur domicile, dont 1 104 en dégroupage total interrogés sur leur mobile (Beck et al., 2011). L’échantillon comprend ainsi 27 653 individus. La passation du questionnaire durait en moyenne trente-cinq minutes. Le questionnaire comportait plus d’une vingtaine de thématiques (tabac, alcool, drogues illicites, santé mentale, qualité de vie, contraception, sommeil…). Afin que l’interview ne dépasse pas le temps moyen imparti (trente-cinq minutes), certaines thématiques n’ont pas été posées à l’ensemble de l’échantillon mais uniquement à certains sous-échantillons tirés au sort aléatoirement.
10Les données ont été pondérées par le nombre d’individus éligibles et de lignes téléphoniques au sein du ménage (notamment pour compenser le fait qu’un individu d’un ménage nombreux a moins de chances d’être tiré au sort), et calées sur les données de référence nationales de l’INSEE les plus récentes, à savoir celles de l’enquête Emploi 2008. Le calage sur marges tient compte du sexe, de la tranche d’âge, de la région de résidence, de la taille d’agglomération, du diplôme et de l’équipement téléphonique.
11Chaque article de ce dossier propose une description basée sur une analyse statistique simple et lisible, assortie d’une mise en regard avec les données issues d’autres sources (qualitatives notamment) ainsi que, dans la mesure du possible, une mise en perspective internationale et une discussion des limites méthodologiques. Si les méthodes d’analyse envisagées permettent parfois d’avoir des approches plus nuancées, c’est souvent aussi par la mise en perspective avec des recherches de natures différentes (ethnographiques par exemple) et par la confrontation avec l’observation des acteurs de terrain qu’une meilleure compréhension des comportements de santé des jeunes peut émerger, dans une perspective heuristique.
Des thèmes variés qui font écho aux politiques publiques
12Les thèmes qui ont été retenus pour figurer au sein de ce dossier sont de natures assez diverses afin d’offrir un regard qui mêle des sujets classiques correspondant à de grands enjeux sanitaires, tels que l’alimentation, les consommations d’alcool et de tabac ou la contraception, et d’autres plus originaux et exploratoires comme les troubles du comportement alimentaire en lien avec l’image du corps, souvent fréquents à l’adolescence, de même que le recours à Internet pour les questions de santé, sujet émergent dont on sait qu’il concerne potentiellement l’ensemble des jeunes. Ainsi, Romain Guignard et François Beck proposent une étude de l’évolution du tabagisme chez les jeunes en regard des mesures récentes des politiques de lutte antitabac. La prévention du tabagisme chez les jeunes est d’autant plus déterminante que la précocité de l’expérimentation est identifiée comme un facteur de risque important pour l’installation durable dans la consommation et la dépendance. Plusieurs études récentes ayant montré une hausse du tabagisme ces dernières années en France parmi les adolescents, cet article s’intéresse aux perceptions et comportements relatifs au tabagisme des jeunes, de l’adolescence à l’âge adulte.
13Jean-Baptiste Richard et François Beck étudient pour leur part les consommations d’alcool des 15-30 ans et leurs caractéristiques par rapport à celles de leurs aînés. Face aux inquiétudes récurrentes autour de l’alcoolisation des jeunes, ils rappellent qu’une majorité d’entre eux ont une consommation sans risque particulier. Dans un contexte général de baisse des usages réguliers de boissons alcoolisées sur l’ensemble de la population, les consommations excessives apparaissent cependant en hausse par rapport à 2005, pour les jeunes hommes comme pour les jeunes femmes, avec, pour ces dernières en particulier, des usages peu fréquents mais un rapport plus étroit à l’ivresse. Si ces comportements restent masculins, un rapprochement est observé entre hommes et femmes, à l’instar de ce qui est constaté dans la plupart des pays européens.
14Arnaud Gautier, Delphine Kersaudy-Rahib et Nathalie Lydié s’intéressent aux évolutions des pratiques contraceptives des jeunes femmes et montrent que la couverture contraceptive est importante. L’utilisation du préservatif et de la pilule reste très forte malgré une percée des nouvelles méthodes telles que l’implant, le patch ou l’anneau. En dépit du bon taux de couverture contraceptive, on observe un fort taux de grossesses non prévues au cours des cinq dernières années. L’utilisation récente de la contraception d’urgence a ainsi légèrement augmenté par rapport à 2005 et concerne une jeune femme sur cinq avant 20 ans. La contraception d’urgence apparaît comme une constituante à part entière du parcours contraceptif.
15Au cours des deux dernières décennies, les technologies de l’information et de la communication ont fait irruption dans l’univers des adolescents et des jeunes adultes, au point qu’elles sont désormais devenues presque indispensables à leur vie culturelle et sociale. François Beck, Viêt Nguyen-Thanh, Jean-Baptiste Richard et Émilie Renahy interrogent l’usage et le rôle d’Internet en matière de recherche d’informations sur la santé. Ainsi, une petite moitié des 15-30 ans, plus souvent des femmes, a utilisé Internet pour une recherche d’informations liées à la santé au cours de l’année, contre un tiers de la population. Sur l’ensemble des jeunes, une grande majorité juge les informations recueillies sur Internet globalement crédibles, 15 % déclarent un changement dans la façon de s’occuper de leur santé du fait de l’usage d’Internet, et 5 % un impact sur la fréquence des consultations, ces proportions étant supérieures à celles de leurs aînés, signe probable d’une évolution à venir vers une utilisation de plus en plus importante d’Internet.
16Une large part est consacrée enfin aux comportements alimentaires. Hélène Escalon et François Beck s’appuient ainsi sur une enquête différente (quoique très similaire dans sa méthodologie), le Baromètre santé nutrition 2008, pour analyser les spécificités des comportements alimentaires des 12-30 ans par rapport à ceux des adultes et les facteurs qui leur sont associés. Dans cette période de transition entre l’alimentation de l’enfance et celle de l’âge adulte, apparaissent d’importantes différences selon le sexe et le milieu social. Le décalage entre les connaissances nutritionnelles et les comportements alimentaires des jeunes d’une part et l’intégration des repères socialement différenciée d’autre part invite à considérer des stratégies de promotion de la santé basées à la fois sur des facteurs individuels et environnementaux. Avec un angle d’analyse très différent, François Beck, Florence Maillochon et Jean-Baptiste Richard étudient quelques conduites alimentaires perturbées des jeunes, que ces pratiques fassent référence à des représentations ou à un rapport à la nourriture devenu pathologique par suralimentation et/ ou sous-alimentation. Les questions analysées portent sur les épisodes de frénésie alimentaire, le fait de se faire vomir volontairement, de manger en cachette et de redouter de commencer à manger par crainte de ne pouvoir s’arrêter. Ces troubles se rencontrent surtout avant 20 ans et surtout chez les femmes. Malgré l’attention médiatique qu’ils suscitent, ils ne concernent qu’une proportion relativement faible de jeunes et n’ont pas augmenté entre 2005 et 2010. Les facteurs sociaux se révèlent importants dans la survenue des quatre troubles étudiés, mais apparaissent d’une intensité moindre que la situation de détresse psychologique.
17Ces articles offrent tous une lecture sous l’angle des inégalités sociales de santé, approche devenue incontournable dans l’observation et la compréhension des comportements de santé des jeunes (Beck, Amsellem-Mainguy, 2012). Ces inégalités résultent à la fois du contexte socio-économique et environnemental, des comportements et modes de vie et du recours aux soins, dans un processus cumulatif qui s’installe avant même la naissance et qui s’enracine pendant l’enfance et l’adolescence, avec d’importantes disparités de territoire et de genre. Si un accès équitable aux soins constitue un enjeu majeur, les principaux déterminants des inégalités de santé restent extérieurs au système de soins. Comme l’illustrent les différents articles de ce dossier, les jeunes qui subissent une situation sociale défavorable présentent globalement des indicateurs nettement plus dégradés que les autres. Cette question est d’autant plus préoccupante dans le contexte actuel où la jeunesse se trouve exposée à des difficultés d’emploi et de logement. L’un des grands défis des prochaines années est de faire en sorte que les mesures de santé publique ne renforcent pas ces inégalités, même si elles permettent l’amélioration de l’état de santé moyen de la population.
18La lecture de ces différents travaux est une invitation à la réflexion et à l’approfondissement des quelques pistes d’action qui y sont esquissées. Ils contribuent notamment à l’élaboration de contextes sociologiques et épidémiologiques qui sont au fondement des orientations stratégiques de l’INPES concernant les actions à développer en direction des jeunes. Celles-ci peuvent être déployées dans le cadre de grandes campagnes de communication plus ou moins ciblées sur les jeunes, ainsi que, dans le cadre de partenariats avec le ministère des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative, avec l’Éducation nationale, la téléphonie sociale, les professionnels de santé au contact des jeunes, autour du développement de l’éducation pour la santé en milieux scolaire, universitaire, mais aussi dans tous les secteurs extrascolaires. La richesse du Baromètre santé 2010 de l’INPES permettra encore d’exploiter les données de cette enquête sur d’autres thèmes tels que les consommations de soin, la qualité de vie, le sentiment d’information sur les grands thèmes de santé, les comportements sexuels, les usages de drogues illicites, les jeux d’argent, le sommeil, la santé mentale, le suicide… Ces données feront l’objet d’une publication complète éditée par l’INPES en 2013.