Introduction
1Il est aujourd’hui établi que les plus grands risques de maladies non transmissibles et les comportements à risque pour la santé sont l’hypertension, l’hypercholestérolémie, une faible consommation de fruits et légumes, une consommation excessive de boissons alcoolisées, la surcharge pondérale et l’obésité, la sédentarité et le tabagisme (Schroeder, 2007). Une mauvaise alimentation et la sédentarité comptent donc parmi les principales causes de maladies non transmissibles.
2Or, de bonnes habitudes concernant l’alimentation et l’activité physique s’acquièrent dès l’enfance et influent non seulement sur la santé, sur le développement physique et psychique des jeunes, mais conditionnent aussi les pratiques à l’âge adulte (Larson, Story, 2009 ; Burgess- Champoux et al., 2009).
3L’adolescence, période de transition entre l’enfance et l’âge adulte, est marquée par la volonté d’affirmation de choix propres, indépendants de ceux des parents, et dont les choix alimentaires font partie. Comme l’ont analysé plusieurs anthropologues dans le cadre d’une étude menée sur trois ans, l’alimentation des adolescents revêt un caractère mouvant, dans l’espace et dans la forme, mais se caractérise aussi par un fort attachement à l’alimentation familiale (Diasio et al. 2009). La transmission des habitudes alimentaires familiales est un processus dynamique fait de sélections, de ruptures, de continuités et de transformations. Les traditions s’alimentent des nouveautés introduites par les jeunes, les incorporent et permettent aux héritages acquis de s’adapter aux nouveaux contextes, et finalement de perdurer.
4Il a par ailleurs été montré que certains comportements alimentaires durant l’adolescence, notamment le fait de manger en famille, étaient associés à une meilleure qualité nutritionnelle et à une meilleure composition des repas à l’âge adulte (Larson et al., 2007).
5Selon une revue de littérature menée sur les enfants et les adolescents (Taylor et al., 2005), les comportements en matière d’alimentation sont susceptibles d’être influencés par des facteurs de différents niveaux : ceux qui relèvent de l’individu (sexe, âge, facteurs psychologiques, croyances et connaissances, valeurs, etc.), les facteurs interpersonnels et relevant du microenvironnement (facteurs familiaux, entourage social, nature des aliments disponibles dans l’environnement des jeunes, que ce soit à la maison, à l’école ou dans les fast-foods, etc.), et ceux relevant du macro-environnement (statut socio-économique, politiques nutritionnelles, système scolaire, pratiques commerciales des industries agroalimentaires, médias, etc.).
6Parmi les facteurs environnementaux, les caractéristiques économiques et sociales du ménage d’appartenance des jeunes s’avèrent fortement associées à leurs comportements alimentaires, à la qualité nutritionnelle de leur alimentation et au fait d’être en surcharge pondérale (Deschamps et al., 2010 ; Lioret et al., 2009 ; Dupuy et al., 2011).
7Néanmoins, aucune enquête menée en population générale n’a analysé certaines des caractéristiques des comportements alimentaires des jeunes recueillis dans notre enquête tels que leurs connaissances nutritionnelles, la distribution journalière de leurs repas ou les lieux dans lesquels ils les prennent. En outre, notre enquête comporte un sur échantillon de jeunes âgés de 12 à 18 ans permettant d’étudier les comportements alimentaires des jeunes sur des tranches d’âge fines.
Un suréchantillon de jeunes
Le taux de refus observé pour les individus issus de l’échantillon des lignes fixes est de 38 % et de 33 % pour ceux issus de l’échantillon des portables.
Les consommations alimentaires ont principalement été recueillies à partir d’un rappel des 24 heures, recueil exhaustif de tous les aliments consommés la veille, n’incluant pas le recueil des quantités. La consommation des groupes d’aliments étudiés ici est exprimée en nombre de prises ou en nombre de fois qu’un aliment de ces groupes a été consommé la veille.
8L’objectif de cet article est double : comparer les comportements alimentaires des jeunes âgés de 12 à 30 ans à ceux des adultes ; étudier dans cette tranche d’âge certains facteurs associés aux comportements, sous le prisme spécifique des inégalités sociales.
Consommation alimentaire et connaissances des repères du PNNS
Spécificités des 12-30 ans par rapport aux adultes
9Les jeunes ont une alimentation plus ou moins saine par rapport à celle de leurs aînés, au regard des groupes d’aliments qui font l’objet des recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS [1]). La consommation de fruits et légumes, faible pour l’ensemble de la population, l’est encore davantage parmi les jeunes (figure 1, p. 116). Seuls 6,4 % des 12-30 ans déclarent en avoir mangé la veille de l’interview au moins cinq fois comme il est recommandé de le faire contre 8,5 % des 31-45 ans, 14,6 % des 46-60 ans et 23,8 % des 61-75 ans. Cette fréquence particulièrement faible chez les jeunes est observée malgré une meilleure connaissance de la recommandation de consommer au moins cinq fruits et légumes par jour citée par 70,7 % d’entre eux (figure 2, p. 117).
10Le poisson, autre aliment marqueur d’une alimentation favorable à la santé, est également moins consommé par les jeunes que par leurs aînés. Les 12-30 ans sont 38,4 % à en manger au moins deux fois par semaine, comme cela est recommandé (contre 41,4 % chez les 31-45 ans et 60,2 % chez les 61-75 ans). Cette tendance coïncide avec une connaissance de la recommandation moins présente chez les jeunes.
11Les produits laitiers, source de calcium particulièrement nécessaire en période de croissance, sont au contraire davantage consommés par les jeunes que par les adultes à la fréquence recommandée (figure 1), alors que leur connaissance de cette recommandation n’est pas meilleure que celle des adultes. Le nombre moyen de prises, la veille, d’aliments du groupe « viandes et volailles, poissons, œufs » (VPO) ne varie pas significativement entre les 12-30 ans et les adultes plus âgés. Il en est de même pour la connaissance de la recommandation de manger une à deux fois par jour un aliment de ce groupe (figures 1 et 2).
12La consommation de féculents des préadolescents s’avère assez proche de la recommandation de manger des féculents à chaque repas et selon l’appétit ; les 12-15 ans en prennent 3,49 fois par jour et les 16-18 ans 3,36 fois. Les 19-30 ans en revanche constituent la tranche de la population qui en consomme le moins (2,85 prises la veille de l’interview, voir figure 1). Ces tendances semblent être indépendantes de la connaissance de la recommandation qui est légèrement plus élevée parmi les 12-30 ans (13,6 % contre 8 % des 61-75 ans) mais néanmoins très faible comme dans l’ensemble de la population (figure 2).
13La consommation de boissons sucrées, facteur de risque d’obésité chez les jeunes, s’avère nettement plus élevée chez les jeunes que chez les adultes. La veille de l’interview, les 12-30 ans en ont pris en moyenne 0,70 fois contre 0,23 au-delà de 30 ans. Autrement dit, 38,7 % des 12-30 ans en ont bu au moins une fois la veille contre 14,7 % des plus de 30 ans.
Nombre moyen de prises de différents groupes d’aliments et de boissons selon l’âge, la veille de d’interview

Nombre moyen de prises de différents groupes d’aliments et de boissons selon l’âge, la veille de d’interview
Connaissance des repères du PNNS, selon l’âge (en %)

Connaissance des repères du PNNS, selon l’âge (en %)
Facteurs associés aux consommations et connaissances des 12-30 ans selon leurs caractéristiques sociodémographiques et celles de leur chef de famille
14Parmi les 12-30 ans, les filles mangent davantage de fruits et de légumes que les garçons, et la consommation de ces aliments décroît avec l’âge.
15Après ajustement sur le sexe et l’âge, on observe globalement des taux de consommation plus faibles de fruits, de légumes ou d’au moins cinq fruits et légumes par jour parmi les enfants d’ouvriers, d’employés, de chômeurs et de jeunes vivant dans des ménages dont le revenu mensuel est faible.
16La connaissance du repère du PNNS (manger au moins cinq fruits et légumes par jour) est aussi moins bonne parmi les jeunes dont le revenu du ménage est faible.
17Concernant les produits laitiers, une décroissance de leur consommation avec l’âge s’observe dès l’adolescence – les 12-15 ans en ont pris 2,67 fois la veille et les 16-18 ans 2,25 fois – et se poursuit chez les jeunes adultes (figure 1). Parmi ces derniers, après ajustement sur le sexe et l’âge, la prise moyenne de produits laitiers apparaît moindre chez les enfants d’agriculteurs, d’artisans chefs d’entreprise et d’employés. La connaissance du repère sur les produits laitiers est quant à elle indépendante des variables socio-économiques étudiées.
18Parmi les 12-30 ans, la fréquence moyenne de consommation, la veille, d’aliments du groupe VPO ne varie pas significativement selon l’âge. Il en est de même pour la connaissance de la recommandation de manger une à deux fois par jour un aliment de ce groupe. Cette dernière est davantage connue par les filles (70,2 % contre 62,8 %), et moins par les enfants de chômeurs par rapport aux enfants de cadres (OR=0,6 [2]) après ajustement sur le sexe et l’âge.
19La fréquence de la consommation de poisson ne varie pas avec l’âge au sein des 12-30 ans, mais elle apparaît plus faible parmi les enfants d’ouvriers et d’employés que parmi ceux de cadres (respectivement OR=0,7 et OR=0,6). En revanche, ni le revenu du ménage, ni la situation professionnelle du chef de ménage ne sont significativement associés au fait de manger du poisson au moins deux fois par semaine. La connaissance de cette recommandation ne s’avère quant à elle associée à aucune de ces variables.
20Parmi les jeunes de 12-30 ans, une prise moindre de féculents la veille de l’interview est observée chez les 19-25 ans et les 26-30 ans et lorsque le chef du ménage dans lequel ils vivent est ouvrier (coef. = -0,44 [3]) ou au chômage (coef. = -0,28). Une tendance inverse est observée en ce qui concerne la connaissance du repère : les enfants de chômeurs apparaissent plus nombreux que les autres à déclarer la fréquence conseillée (OR=2,1).
21Quant à la consommation de boissons sucrées, elle est la plus fréquente chez les 19-25 ans. Après ajustement sur le sexe et l’âge, elle l’est aussi chez les enfants d’ouvriers (coef. = 0,41), d’employés (coef. = 0,34) et de chômeurs (coef. = 0,46) et dans les ménages dont le revenu mensuel est inférieur à 900 euros (OR=0,23).
Distribution journalière des repas
22Le nombre moyen de repas pris par jour augmente avec l’âge : il est de 2,77 chez les 12-30 ans ; de 2,86 chez les 31-45 ans ; de 2,91 chez les 46-60 ans et de 2,94 chez les 61-75 ans. Ainsi, les 12-30 ans sont significativement moins nombreux à prendre trois repas par jour (78,8 %) au profit de deux (19,4 %). Néanmoins, au sein de cette tranche d’âge, des disparités selon l’âge sont observées : les 12-15 ans prennent en grande majorité trois repas dans la journée (88,5 % d’entre eux), mais ils ne sont plus que 74,1 % dans ce cas parmi les 19-25 ans qui prennent deux repas seulement dans la journée pour 23,8 % d’entre eux.
23Parmi les 12-30 ans, après ajustement sur le sexe et l’âge, la probabilité de prendre moins de trois repas par jour est plus élevée lorsque le chef du ménage est au chômage (OR=1,5) ou lorsqu’il employé (OR=1,7).
24Le cas échéant, le repas sauté par les jeunes est surtout le petit déjeuner. Près d’un jeune de 12-15 ans sur dix (8,8 %) n’en prend pas. C’est le cas de 15,4 % des 16-18 ans et de 14,6 % des 19-25 ans, alors que cela ne concerne plus que 4 % ou moins des adultes ayant dépassé la trentaine (figure 3). Le renoncement au petit déjeuner ne s’avère associé ni à la profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS) du chef de famille, ni à sa situation professionnelle, ni au revenu.
Saut de repas selon l’âge (en %)

Saut de repas selon l’âge (en %)
Lieu des repas
25La veille de l’interview, la majorité des jeunes ont pris leurs repas au domicile, mais ils sont en général légèrement moins nombreux que les adultes à le faire.
26Ainsi, 88,9 % des 12-30 ans (contre 94,3 % de leurs aînés) ont pris leur petit déjeuner chez eux. C’est le cas de 53,2 % des 12-30 ans contre 70,2 % des 31-75 ans pour le déjeuner ; et respectivement de 81,2 % contre 89,8 % pour le dîner. La situation varie néanmoins selon l’âge au sein des 12-30 ans, les 12-15 ans étant plus nombreux que les autres à prendre leur petit déjeuner et leur dîner au domicile (respectivement 95,6 % contre 87,1 % et 95,4 % contre 77,5 %).
27Concernant le déjeuner, 51,5 % des 12-18 ans le prennent au domicile. La consommation hors du domicile correspond à la prise du repas en restauration scolaire ou universitaire (31,8 %) ; la prise du déjeuner chez des amis vient loin derrière (6 %) ainsi que le fast-food (3,1 %) et la consommation dans la rue (2,6 %). Pour les 19-30 ans, dont 54,3 % prennent leur déjeuner au domicile, le repas hors du domicile peut se prendre sur le lieu de travail (4,6 % au restaurant d’entreprise et 14,4 % hors restauration d’entreprise), chez des amis (8 %), au restaurant (6,8 %), le fast-food ou la rue venant en dernière position (respectivement 3,1 % et 2,1 %).
28Le soir, 89,7 % des 12-18 ans déclarent manger à leur domicile, 5,2 % chez des amis, 1,7 % au restaurant scolaire ou universitaire, 1,4 % au restaurant et une minorité au fast-food (0,8 %) ou dans la rue (0,5 %). Les jeunes adultes de 19-30 ans sont un peu moins nombreux à manger à leur domicile (76,6 %) au profit des dîners chez des amis, au sein de la famille (9,4 %), au restaurant ou dans un café (5,7 %), au fast-food (3,5 %) ou dans la rue (1,1 %).
29Du fait de la « rareté » de ce comportement, la fréquentation de fastfoods a été étudiée sur les quinze jours précédant l’enquête et pas seulement sur la veille. Ainsi, 26,2 % des 12-30 ans déclarent y aller au moins une fois par semaine contre 13,6 % des 31-45 ans et 3 % au-delà de 46 ans. Au sein des 12-30 ans, cette pratique est nettement plus masculine et culmine chez les jeunes hommes de 19-25 ans pour concerner 42,1 % d’entre eux. La fréquentation au moins hebdomadaire d’un fastfood n’apparaît significativement associée ni à la PCS du chef de ménage, ni à sa situation professionnelle, ni au revenu du ménage.
Le rôle du genre
30La notion de genre joue un rôle important dans la compréhension des habitudes alimentaires des jeunes, avec un effet qui reste très fort même après avoir pris en compte les facteurs socio-économiques. En regard d’aliments ou de boissons, marqueurs forts de la qualité nutritionnelle de l’alimentation, la consommation alimentaire des jeunes filles de 12-30 ans apparaît ainsi plus favorable à la santé que celle des garçons. Elles mangent en effet davantage de fruits et de légumes dans une journée. Cette tendance s’est accrue entre 2002 et 2008 chez les 12-17 ans (Escalon et al., 2009) et s’observe dans la plupart des pays européens d’après l’enquête sur la santé des collégiens Health Behaviour in Schoolaged Children (HBSC) Study (Currie et al., 2012). Les filles sont aussi nettement moins nombreuses que les garçons à consommer des boissons sucrées quotidiennement. Cette tendance, déjà observée en 2002, n’a pas évolué depuis et apparaît aussi au niveau européen. La France se situe dans le tiers des pays les plus consommateurs, excepté en ce qui concerne les filles de 11 à 15 ans, qui se trouvent dans le deuxième tiers (Jouret et al., 2012). Les mêmes différences hommes/femmes s’observent de 31 à 75 ans pour la consommation des fruits, des légumes et des boissons sucrées après ajustement sur l’âge et sur les facteurs socio-économiques (PCS, situation professionnelle ou revenu). En revanche, d’autres différences selon le sexe apparaissent chez les adultes alors qu’elles ne sont pas significatives chez les jeunes. Ainsi, les femmes de 31-75 ans prennent quotidiennement davantage de produits laitiers que les hommes, moins d’aliments du groupe VPO, moins de féculents et sont plus nombreuses à consommer du poisson selon la fréquence recommandée (au moins deux fois par semaine) alors que ce n’est pas le cas chez les jeunes filles. Ces dernières sont par ailleurs nettement moins nombreuses que leurs homologues masculins à manger au fast-food et plus nombreuses, pour les plus âgées d’entre elles, à prendre un petit déjeuner.
31Les femmes et les jeunes filles apparaissent sans doute plus attentives à leur santé dans leurs pratiques alimentaires que les hommes. En effet, cette tendance, observée ailleurs également (Escalon et al., 2009), se manifeste aussi bien dans leur représentation de ce qu’est une alimentation équilibrée que dans la composition des menus qu’elles préparent. Elles occupent par ailleurs une place centrale dans les achats alimentaires et la préparation des repas. Car malgré une diminution du temps qu’elles passent dans la cuisine (baisse de dix minutes entre 1999 et 2010), l’écart du temps consacré à des tâches domestiques entre les hommes et les femmes reste d’une heure et demie par jour (Ricroch, Roumier, 2011).
32Les femmes ont également un meilleur niveau de connaissances nutritionnelles que les hommes, elles sont plus nombreuses à connaître les repères du PNNS relatifs aux fruits et légumes, produits laitiers, VPO et celui spécifique relatif au poisson ; seul le repère sur les féculents ne fait pas l’objet de différence selon le sexe (Escalon et al., 2009). Cette meilleure connaissance est observée également dans notre analyse chez les filles âgées de 12 à 30 ans mais uniquement pour les aliments du groupe VPO et le poisson.
33Ainsi, que ce soit au niveau de la consommation alimentaire ou de la connaissance des repères nutritionnels, le spectre des différences de genre semble être moins large parmi les jeunes que parmi leurs aînés. La pression sociale à l’égard de la minceur, plus forte sur les femmes que sur les hommes (Régnier, 2006), s’accroît probablement avec l’âge, bien qu’elle soit déjà présente chez les adolescentes. Les normes corporelles pèsent néanmoins aussi sur les garçons mais en ne mobilisant pas les mêmes registres, notamment celui de la culpabilité, très féminin. L’image d’Épinal « homme/énergie/sport » perdure et pèse de façon différente sur les jeunes garçons (Diasio et al., 2009).
Les variations de comportements liées à l’âge
34Parmi les autres facteurs individuels associés aux comportements alimentaires des jeunes, les différences observées selon l’âge montrent qu’il n’y a pas « une » adolescence mais des périodes de l’adolescence au cours desquelles les comportements alimentaires évoluent. Certains aliments caractéristiques de l’enfance comme les produits laitiers et les féculents sont davantage consommés par les plus jeunes et la fréquence de leur prise diminue jusqu’à l’âge de 25 ans environ, tandis que la consommation d’autres produits, comme les boissons sucrées, augmente jusqu’à cet âge. Dans le même sens, la distribution journalière des repas évolue entre 12 et 25 ans, les jeunes devenant globalement plus nombreux à sauter des repas avec l’avancée en âge. Nos données sur le petit déjeuner s’avèrent néanmoins nettement moins alarmantes que celles de l’enquête HBSC dans laquelle, en moyenne, plus d’un tiers des jeunes Européens déclare ne pas en prendre (Currie et al., 2012). Les lieux des repas changent aussi : la prise au domicile, qui reste néanmoins la plus fréquente, diminue légèrement au profit des repas pris chez des amis, au restaurant ou au fast-food. La fréquentation de ce dernier culmine d’ailleurs entre 19 et 25 ans, deux jeunes adultes sur cinq y mangeant au moins une fois par semaine.
35Les comportements alimentaires des 12-30 ans semblent donc évoluer schématiquement en trois étapes. Pour les jeunes de 12 à 15 ans, la référence principale est encore la norme alimentaire familiale (Diasio et al., 2009). La période de 15 à environ 25 ans est marquée par une évolution dans la façon de manger et du contenu de l’assiette. En effet, alors que la famille prenait en charge l’alimentation des adolescents depuis leur enfance, ces derniers se trouvent à devoir gérer individuellement des éléments parfois contradictoires et paradoxaux de notre société comme les règles familiales, les normes corporelles et les messages nutritionnels qui les encouragent à manger moins sucré, moins salé, moins gras, alors même que l’industrie agroalimentaire leur offre une gamme très étendue de produits plus ou moins favorables à la santé et les incite à se faire plaisir. Cependant, après cette période d’expérimentation, au-delà de 25 ans, notamment avec l’entrée dans la vie active et de couple, voire de famille, les comportements des jeunes adultes ont tendance à se rapprocher peu à peu de ceux des adultes plus âgés.
36Sur plusieurs indicateurs, les jeunes de 12 à 30 ans affichent néanmoins une meilleure connaissance des repères de consommation que leurs aînés, tout en étant moins nombreux à les atteindre. Ce paradoxe traduit notamment la difficulté à passer de l’information et de la connaissance au changement effectif de comportement. Cette difficulté semble particulièrement importante chez les jeunes. Elle a également été observée à l’étranger dans une étude menée auprès de plus de 600 jeunes âgés de 11 à 18 ans (Pich et al., 2011) mettant en avant la nécessité de chercher de nouvelles stratégies de communication, d’incitation qui ne soient pas exclusivement basées sur l’apport d’informations. La réflexion sur l’environnement quotidien des jeunes apparaît ainsi cruciale. Il peut s’agir par exemple de faciliter l’accès aux fruits et légumes dans les espaces de restauration collective, mais aussi d’agir plus largement sur l’environnement autour de l’école. Dans ce sens, au Canada, a été mis à la disposition des municipalités, un guide comportant des pistes d’actions pour modifier la réglementation municipale en vue de limiter l’implantation de nouveaux commerces de restauration rapide à proximité des écoles [4].
37En France, des stratégies proactives allant au-delà de l’apport de connaissances sont mises en place pour tenter d’aboutir à des changements de comportements, en particulier dans le domaine de l’activité physique, composante complémentaire de l’alimentation dans la lutte contre les maladies cardio-vasculaires et le surpoids. Dans cette perspective, le projet Intervention auprès des collégiens centrée sur l’activité physique et la sédentarité (ICAPS) a mis en place des actions de promotion de l’activité physique se basant sur une stratégie d’intervention multiniveaux : composante éducative envers les adolescents, mobilisation de l’entourage, nouvelles activités physiques proposées au sein du collège, sollicitation des collectivités territoriales pour faciliter l’accès aux équipements sportifs et au transport actif (Simon et al., 2011). Une telle initiative, en augmentant la pratique des activités physiques, a eu un effet bénéfique sur le poids et le risque de maladies cardiovasculaires, tout en tendant à réduire les inégalités sociales de santé.
38Dans notre enquête, ces inégalités apparaissent fortement marquées en ce qui concerne la consommation d’aliments favorables à la santé. Les enfants d’ouvriers et d’employés mangent moins fréquemment de fruits et de légumes que ceux des cadres. Les enfants de chômeurs et ceux vivant dans un ménage dont les revenus sont plus faibles mangent moins de légumes. Les fruits et légumes apparaissent ainsi, tant pour les jeunes que pour les adultes, comme un « marqueur social », ce groupe d’aliments étant identifié comme un de ceux dont le niveau de consommation apparaît le plus lié au statut socio-économique et aux inégalités de santé (Combris et al., 2008).
39Les jeunes enfants d’ouvriers et d’employés sont par ailleurs moins nombreux que ceux des cadres à manger du poisson au moins deux fois par semaine, la faible consommation de poisson ayant également été identifiée comme une caractéristique de l’alimentation des populations défavorisées (Cavaillet et al., 2005-2006). La prise de boissons sucrées, défavorable à la santé, est quant à elle davantage observée parmi les enfants d’ouvriers, d’employés, de chômeurs et de ceux vivant dans un ménage à faible revenu.
40La connaissance des repères du PNNS chez les jeunes apparaît en revanche moins marquée socialement. On n’observe pas de différences selon le revenu, la PCS ou la situation professionnelle du chef de ménage pour les repères sur les fruits et légumes, les produits laitiers et le poisson. Toutefois, les fils de chômeurs sont moins nombreux à connaître le repère sur les VPO alors qu’ils sont plus nombreux que ceux des cadres à déclarer qu’il faut manger des féculents au moins trois fois par jour pour être en bonne santé, aliments par ailleurs plus fréquemment consommés par les populations défavorisées (Cavaillet et al., 2005-2006).
41Si la connaissance des repères relatifs aux aliments les plus représentatifs d’une alimentation favorable à la santé n’apparaît pas socialement différenciée, la fréquence de consommation de ces aliments est au contraire négativement associée au statut économique et social du ménage d’appartenance des jeunes. La différenciation selon l’appartenance sociale de l’intégration des normes d’alimentation, observée par ailleurs chez des adultes (Régnier, 2009), semble prendre sa naissance dès l’adolescence.
42Les actions de prévention basées uniquement sur l’information et plus généralement les actions d’éducation pour la santé ont été identifiées comme celles pour lesquelles l’écart de résultat en termes d’inégalités sociales de santé est le plus fort dans la mesure où elles se fondent davantage sur des compétences socialement discriminées et des réseaux sociaux inégalement appropriés (Potvin et al., 2010). Le recours à d’autres types de programme, mis en œuvre dès la petite enfance et agissant au niveau individuel et environnemental, serait ainsi plus à même de favoriser une alimentation bénéfique pour la santé sans pour autant accroître les inégalités sociales de santé.
Notes
-
[1]
Ministère de la Santé et des Solidarités, Deuxième programme national nutrition santé 2006-2010. Actions et mesures, Paris, 2006.
-
[2]
OR = odds ratio. Lecture : les enfants de chômeurs ont environ deux fois moins de chances que ceux de cadres de connaître le repère de consommation relatif aux VPO.
-
[3]
Coefficient de la régression linéaire relative à la consommation de féculents la veille. Lecture : comparée à un jeune dont le chef de ménage est cadre, la prise moyenne de fruits de celui dont le chef de ménage est ouvrier est réduite de 0,44.
-
[4]
Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), Réseau québécois des villes et villages en santé, La zone-école et l’alimentation : des pistes d’action pour le monde municipal, ASPQ, Montréal (Canada), 2011 (consultable sur www.aspq.org/documents/file/guide-la-zone-ecole-et-l-alimentation.pdf).