« Votre période de séparation, c’est la carotte au bout du bâton » s’exclame Helena, adolescente de quinze ans, anorexique depuis six mois. À l’instar de tous les patients anorexiques hospitalisés à temps plein dans le département de psychiatrie de l’adolescent, Helena expérimente les affres de la première phase de sa prise en charge : une période dite « de séparation », qui consiste à suspendre tout contact avec le monde extérieur. Visites, sorties et appels téléphoniques seront interdits au cours de cette période dont personne, y compris les soignants, ne connait à l’avance le terme. Tout au plus le patient se doute-t-il, après s’être renseigné sur des sites pro ana, que ce qui s’annonce comme l’étape la plus pénible de sa prise en charge durera au moins plusieurs semaines et, probablement plusieurs mois. Cette période de séparation, tout comme le reste de l’hospitalisation, voit sa fin conditionnée à la reprise pondérale du patient : au cours de l’entretien d’admission, l’équipe soignante, le patient et ses parents s’accordent sur un contrat de poids, qui va encadrer les modalités d’hospitalisation. Le patient ne pourra revoir son entourage qu’une fois atteint un poids minimal, appelé « poids de séparation » – et ce bien qu’il autorise, en réalité et paradoxalement, les retrouvailles avec l’entourage. De même, l’hospitalisation ne prendra fin que lorsque le patient aura atteint son « poids de sortie ». Ces deux poids représentent pour le patient et son entourage deux frontières, autour desquelles l’ensemble des interactions entre univers intra et extra hospitalier sera amené à se structurer…