Les frontières qui séparent – et relient – le dedans et le dehors, le Moi et le non-Moi, sont depuis longtemps au cœur des réflexions métapsychologiques sur la clinique des souffrances narcissiques graves, des psychoses et des psychosomatoses (Anzieu, 1985 ; Green, 1983, 1990, 1993 ; Roussillon, 1991, 1995, 1999 ; Winnicott, 1965, 1971). Si les fonctionnements névrotiques donnent d’emblée l’impression qu’une limite structurante est posée entre soi et l’autre-que-soi, la rencontre avec les patients dont les angoisses prédominent à des niveaux plus archaïques, indique de manière poignante que cette différenciation n’est pas une donnée première ni indiscutable de la psyché humaine, mais plutôt le fruit d’un travail psychique complexe, qui commence dès l’aube de la vie psychique et dans lequel l’environnement premier joue un rôle déterminant. Le travail de symbolisation de la mère, décrit avec précision et créativité par R. Roussillon (2004) à partir des réflexions winnicottiennes sur le développement affectif primitif, permet au sujet naissant de commencer à tisser des liens entre ses différentes sensations, ses perceptions et ses proto-pensées, en favorisant l’organisation d’un sentiment continu d’exister et d’un espace psychique interne, intime, pour penser et rêver. Lorsque tout se passe bien, ce travail de liaison, qui est à la fois intrapsychique et intersubjectif, permet progressivement à l’infans de se construire comme un sujet à part entière ; c’est-à-dire comme un individu qui parvient à habiter son propre corps et qui peut se reconnaître comme un être humain vivant dans une communauté d’autres, à la fois semblables et différents de lui…