CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Elie Rotenberg a dirigé pendant plusieurs années la Guilde Millenium dans le jeu en réseau World of Warcraft. Cette guilde a longtemps été classée parmi les premières des guildes françaises pour ses combats contre les créatures monstrueuses générées par l’ordinateur (les « boss ») et a même fait partie à certains moments des meilleures du monde. Je l’ai rencontré à la Journée d’études du Centre d’Analyse Stratégique (cas) auprès du Premier ministre, organisée le 23 novembre 2010 sur le thème : « Jeux vidéo : Addiction ? Induction ? Régulation ». Au cours de cette journée, que j’étais chargé d’introduire et de conclure, plusieurs chercheurs européens ont été auditionnés, notamment Mark D. Griffiths et Marc Valleur, dont les contributions sont reproduites dans le présent numéro. Nous avons un peu parlé et l’idée de cette interview m’est venue tout de suite. Parallèlement, je lui ai demandé de faire une conférence dans le cadre de mon séminaire à l’Institut National de l’Audiovisuel (ina) à Paris. Il est intervenu le 21 septembre 2011 et a parlé du monde de World of Warcraft et de ses joueurs. La vidéo de sa présentation est consultable sur Internet [1].

2Il montre ici comment la logique du jeu en réseau est inséparable des processus de socialisation qui y sont à l’œuvre. Il y parle aussi d’addiction et du jeu en réseau comme nouvelle forme de relation d’apprentissage sur le modèle du maître et du compagnon.

3Serge Tisseron : À quel âge avez-vous découvert les jeux vidéo ?

4Elie Rotenberg : Très tôt, peut-être à deux ans, trois ans. Mais c’était surtout mes frères et s œurs plus grands qui y jouaient. Je suis en effet le plus jeune de quatre enfants. Moi, ça ne m’intéressait pas trop, au départ j’étais plutôt lego, jeux de construction. Je m’y suis mis vraiment à l’école primaire, vers cinq, six ans avec la Megadrive qui était la console de l’époque. Je jouais surtout à des jeux d’aventures qui étaient assez proches des jeux de rôle. C’était assez simple à ce moment-là. J’avais des jeux comme Landstalker, Soleil ou La Légende de Thor. Je ne sais pas si ce sont des titres qui parlent encore, c’était des lieux d’aventures dans des mondes de fantaisie.

5Serge Tisseron : Comment vos parents ont-ils réagi à ce moment-là ?

6Elie Rotenberg : À l’époque je jouais assez peu, ça ne les a donc pas trop inquiétés. Puis je m’y suis intéressé de plus en plus, et ça a commencé à être l’objet de débats quand je suis entré au collège. Parce que là, soi-disant, on attend plus des élèves qu’ils fassent leurs devoirs, ce qui n’est pas encore le cas à l’école primaire. Donc les premières discussions ont commencé à ce moment-là. Elles n’étaient pas encore trop houleuses … Et puis j’ai joué de plus en plus parce que je m’en sortais très bien au collège sans que les jeux vidéo me posent de problèmes, et j’avais beaucoup de copains. Notre centre d’intérêt principal commun était le jeu vidéo, mais je ne saurais pas dire si je jouais aux jeux vidéo parce que c’était un centre d’intérêt commun avec d’autres gens ou si j’ai eu des affinités avec ces gens-là parce que nous jouions tous aux jeux vidéo.

7Serge Tisseron : Et World of Warcraft ?

8Elie Rotenberg : World of Warcraft est sorti quand j’étais en terminale. J’ai commencé tout de suite, c’était en 2005 si je ne me trompe pas, ça fait six ans, février 2005. Pendant six ans ça a vraiment été une part intégrante de ma vie, vraiment très importante.

9Serge Tisseron : Pendant ces six ans, comment avez-vous organisé votre emploi du temps, pour concilier votre jeu avec les autres, votre entraînement personnel et vos études ?

10Elie Rotenberg : Ces deux dernières années j’étais très organisé, mais les quatre premières, ce n’était pas organisé justement. Parfois mes activités quotidiennes étaient suffisamment prenantes pour que je ne passe pas trop de temps sur le jeu. Mais d’autres fois, j’y passais énormément de temps et paradoxalement, l’année où j’y ai passé le plus de temps, c’était l’année où j’étais en classe préparatoire au lycée Charlemagne.

11C’est assez étouffant comme milieu, comme chacun le sait, et c’est à cette époque-là que j’ai joué le plus, je n’ai pas honte de dire que j’y jouais jusqu’à 18 heures, voire 20 heures par jour à certains moments.

12Serge Tisseron: 20 heures par jour sur des périodes de combien de temps ?

13Elie Rotenberg : C’est difficile à dire. Je pense que les périodes vraiment les plus intenses ont duré quelques jours au maximum. Après, le rythme de croisière d’un joueur qui joue énormément et qui ne se ment pas à lui-même sur ses heures de jeu, c’est facilement 10 heures par jour. Si on dort 6 heures, qu’on joue 8 heures il ne reste que 10 heures pour faire d’autres choses. Je dormais très peu, jusqu’à ce que le fait de dormir très peu accumulé sur plusieurs années, et pas uniquement à cause de World of Warcraft, finisse par me poser des problèmes de sommeil sérieux.

14Actuellement, je dors plus, plutôt 8 heures ou 10 heures par nuit que 3 ou 4 heures. Mon temps de jeu est très variable. On a des périodes de jeu très intenses qui durent quelques semaines, qui correspondent en fait à l’équivalent des saisons sportives. C’est notamment le cas quand il y a des nouveaux contenus qui sont rendus disponibles sur le jeu. Alors on entre dans une compétition, une véritable course [2]. On joue énormément, facilement 12, 14 heures par jour pendant une semaine, deux semaines, parfois trois semaines, jamais plus. Après on passe sur un rythme beaucoup plus léger, moins de 10 heures par semaine, ce qui au final est assez peu, par rapport à 10 heures par jour.

15Serge Tisseron : Quand vous étiez au lycée Charlemagne en classe préparatoire et que vous jouiez 18 à 20 heures par jour, cela veut dire qu’il vous restait 4 à 6 heures pour dormir, manger et travailler ?

16Elie Rotenberg : Il y a une période où je n’allais plus en cours. Mais j’ai du mal à me souvenir si j’ai commencé par arrêter d’aller en cours parce que je jouais, c’est très difficile pour moi de savoir, je pense que ma mémoire me joue des tours à ce niveau-là … Bien sûr, je ne conseillerai pas cette stratégie pour les gens qui vont en Prépa, mais je pense vraiment qu’à l’époque, jouer énormément m’a servi de soupape. J’ai pu évacuer une tension, j’ai pu faire abstraction de cette idée délirante qui guide les gens en Prépa, qui est que toute leur vie se joue sur une année. Je jouais tellement que j’avais réussi à faire abstraction de ça, et c’est vraiment ce qui m’a permis de tenir psychologiquement jusqu’au concours, et de le réussir.

17Serge Tisseron : C’était une stratégie d’évitement d’un milieu dont vous contestiez les règles ?

18Elie Rotenberg : Probablement quelque chose comme cela. Je ne connais pas toute la terminologie mais je pense que c’est quelque chose comme cela.

19Serge Tisseron : Et vous évitiez aussi peut-être de penser à l’obstacle du concours pour le sauter sans état d’âme au moment où il se présenterait ?

20Elie Rotenberg : J’étais très très bien préparé en termes de mathématiques, d’informatique, qui étaient les matières principales, j’étais très bien préparé avant même le début de ma deuxième année [3].

21Serge Tisseron : Vous auriez pu passer le concours dès la première année, à la limite, et comme vous aviez une deuxième année … vous l’avez passée à jouer ?

22Elie Rotenberg : Je ne sais pas si c’est à ce point-là, mais en tout cas, le principe de réalité me fait dire que ça n’a pas été catastrophique par rapport à mon parcours scolaire.

23Serge Tisseron : Quand vous faisiez de la compétition, comment répartissiez-vous votre temps d’écran entre le jeu proprement dit avec la guilde, le jeu individuel si vous en faisiez, les échanges sur des forums, la communication avec d’autres joueurs sur les stratégies, l’utilisation de Skype, etc. ?

24Elie Rotenberg : Tout cela, c’est un peu en même temps, en fait. Du jeu individuel pur, il n’y en a pratiquement pas pendant ces périodes-là. Tout ce qu’on a à faire individuellement, pratiquement on le fait avant quand c’est possible, c’est pratiquement toujours possible, on va récolter des plantes, pour préparer les potions qui servent pour être plus performant dans les compétitions, ce sont des choses qu’on peut préparer à l’avance. Je vais me référer aux événements les plus récents qui ont correspondu à la sortie de l’extension Cataclysm. Pendant deux bonnes semaines d’été, dans une période de rush, on était 18 heures sur 24 ou 16 heures sur 24 à jouer et c’était quand même un peu fatigant. On jouait pratiquement tous ensemble ou par petits groupes de cinq, sur une quarantaine de personnes et on était quarante personnes connectées en même temps en permanence, par ce qu’on appelle Teamspeak, pas tout à fait Skype, mais c’est le même principe ce sont des canaux de discussion vocale … On n’était pas 40 dans la même pièce et on n’avait pas les échanges physiques qui accompagnent la communication dans la même pièce, mais on était 40 sur les mêmes canaux de discussion vocale pratiquement pendant deux semaines complètes.

25Serge Tisseron : Juste avec des pauses pour dormir quelques heures et manger ?

26Elie Rotenberg : Des pauses pour dormir, pour se reposer, c’est moi qui étais responsable de la guilde à ce moment-là. Il y a clairement des fois où je sentais que les gens étaient très fatigués, ils n’arrivaient pas à bien jouer, alors je leur disais : « Écoutez ça va pas, on est tous fatigués, on reprendra dans 12 heures, allez dormir, reposez-vous, allez faire un tour, voyez vos amis … »

27Serge Tisseron : Quand vous avez tué un boss, vous ne faites pas des périodes de repos après ? Vous repartez tout de suite à l’assaut du suivant ? Et tuer un boss, ça prend combien de temps, 2 heures, 4 heures ?

28Elie Rotenberg : Les combats eux-mêmes durent au maximum 15 minutes, en général plutôt 5 à 6 minutes du début jusqu’à la fin. Pendant ce temps-là, on ne peut pas être interrompu, on ne peut pas se lever de sa chaise, on ne peut pas répondre au téléphone.

29Serge Tisseron : Et alors qu’est-ce qui fait que les périodes de jeux sont si longues ?

30Elie Rotenberg : Les boss sont difficiles, on ne réussit pas du premier coup.

31Serge Tisseron : Vous recommencez combien de fois ?

32Elie Rotenberg : On peut faire ça 5 fois, 10 fois, 20 fois jusqu’à 500 fois, cela nous est arrivé de refaire le même boss 500 fois. On n’a pas réussi, on a fait une erreur, c’est pour ça qu’on a échoué, on recommence en essayant de ne pas la faire.

33Serge Tisseron : Mais quand vous avez échoué, vous prenez un temps pour en discuter ?

34Elie Rotenberg : Oui.

35Serge Tisseron : Et entre deux attaques, vous discutez combien de temps de stratégie ?

36Elie Rotenberg : C’est plutôt 5 minutes de discussion, en fait quand on arrive sur un nouveau boss, on découvre comment il fonctionne, qu’est-ce qu’il va falloir faire, petit à petit on met en place une stratégie. Il peut y avoir jusqu’à 10 minutes entre deux tentatives, très rarement plus, et plus on avance moins on a à affiner la stratégie parce que la stratégie on la connaît, on sait ce qu’il faut faire et il y a qu’à le faire bien, ensuite on identifie les erreurs qui sont faites par les joueurs, on essaie de les corriger, mais ça c’est très rapide. Les discussions plus longues et plus profondes sur la stratégie ont plutôt lieu en dehors des sessions de jeu.

37Serge Tisseron : Et après pourquoi aller attaquer tout de suite un autre boss ?

38Elie Rotenberg : Parce que la compétition se joue entre les guildes pour savoir laquelle aura tué tous les boss en premier. Par exemple sur Cataclysm il y avait vingt-cinq boss à tuer avant d’arriver à la fin.

39Serge Tisseron : Comment le recrutement des combattants se fait-il ?

40Elie Rotenberg : Ça dépend beaucoup des guildes. Je peux expliquer pour Millenium. Déjà, on a un recrutement permanent, ce qui n’est pas le cas de toutes les autres guildes. À n’importe quel moment de l’année, que l’on soit en compétition ou pas, on recrute des gens. Le principe c’est de recruter des joueurs avec le meilleur niveau de jeu possible, donc qui vont pouvoir être plus performants en temps de compétition. Cette performance a plusieurs composantes. D’abord, le joueur doit avoir une maîtrise mécanique. Il doit savoir bien utiliser son clavier et sa souris, bien déplacer son personnage, etc. Il y a ensuite une maîtrise qui est de l’ordre de l’érudition ou de la connaissance : il faut très bien connaître le fonctionnement du jeu pour savoir comment on va faire le plus de dégâts, comment on va éviter d’en prendre, c’est vraiment de l’ordre de l’érudition. Le troisième critère est la disponibilité. Il faut être capable pendant la semaine ou les deux semaines de compétition de se libérer totalement pour le jeu. Enfin, il y a un quatrième critère. Dans la guilde Millenium, ce qui n’est pas le cas forcément dans d’autres guildes de compétition, je m’assurais que les gens qui rentraient chez nous étaient vraiment motivés. Qu’ils savaient bien ce que ça représente de prendre deux semaines de vacances pour jouer à World of Warcraft plutôt que de partir au soleil, et que c’est vraiment cela qu’ils avaient envie de faire.

41Serge Tisseron : Mais comment savoir tout cela ? Le niveau on le voit, la connaissance du jeu, ça peut se tester, mais la motivation ? La fiabilité ? Est-ce que vous rencontrez les candidats pour de vrai, ou faites vous un entretien d’embauche sur Internet ?

42Elie Rotenberg : Les gens envoient une candidature écrite à une boîte mail. Elle ressemble à la fois à un CV et à une lettre de motivation. Ils expliquent leur parcours sur le jeu, quelle place ils ont jouée, pourquoi, dans quelle guilde, etc. Ils nous détaillent leur façon de jouer, c’est là qu’ils sont censés placer leur érudition : expliquer qu’ils utilisent tel sort ou telle capacité, celle qui leur permet de mieux survivre dans telles ou telles conditions, etc. Ensuite, ils décrivent leurs motivations. Si le mail de candidature est concluant, on a quelques allers-retours où on pose des questions, on demande des détails sur certaines choses, et après, si c’est concluant, on fixe un entretien vocal.

43Serge Tisseron : Par téléphone ou par Skype ?

44Elie Rotenberg : Par Teamspeak qui est à peu près l’équivalent de Skype.

45Serge Tisseron : Est-ce que vous voyez le visage du candidat ?

46Elie Rotenberg : Non, c’est juste vocal. On a invité deux ou trois personnes de la guilde qui ont le même type de personnage que le candidat et qui sont a priori capables de juger son érudition. Elles lui posent des questions techniques, subtiles, pour voir si c’est quelqu’un qui connaît vraiment ou qui a une connaissance approximative. Dans le même entretien il y a aussi des cadres de la guilde, des officiers. Ils posent au candidat d’autres questions. Des questions plus personnelles, mais qui ne concernent pas forcément l’identité dans la vie réelle. Des questions du genre : est-ce que tu as déjà une expérience au sein d’une guilde de haut niveau ? Est-ce que tu sais bien ce que ça représente de ne pas partir en vacances à la Toussaint parce qu’il y a une extension qui va sortir à ce moment-là et qu’il va falloir être disponible ?

47Serge Tisseron : Est-ce qu’à un moment ou un autre, il y a une rencontre réelle ?

48Elie Rotenberg : Ça ne se passe pas dans le cadre d’une candidature, ce n’est pas un pré-requis. Il y a des gens dont les candidatures s’achèvent soit positivement, soit négativement sans jamais qu’on ne les ait rencontrés. Mais indépendamment des candidatures, on organise souvent des rencontres entre joueurs de la guilde qu’on appelle les irl (pour In Real Life, « dans la vraie vie »). C’est très fréquent, d’ampleur variable. Il y en a de très grandes, au moins une fois par an, où il y a une trentaine de personnes. Et plus fréquemment on organise à Paris ou Lyon, dans les grandes villes, des regroupements moins importants de 5, 6, 10, 15 joueurs de la guilde.

49Serge Tisseron : Pendant les périodes de compétition, vous mobilisez en même temps quarante personnes. Pourtant, il n’y en a que vingt-cinq à chaque fois qui combattent un boss ?

50Elie Rotenberg : Il y a plusieurs raisons. On ne va pas avoir besoin des 25 mêmes classes ou des 25 mêmes types de personnages pour chaque boss. Des fois il faut plus de soigneurs, d’autres fois plus de mages. Le fait d’avoir 40 joueurs nous permet d’avoir un peu de flexibilité là-dessus. Ensuite, il y a des impondérables contre lesquels on ne peut rien, que ce soit des problèmes de santé, décès de proches, des obligations professionnelles inattendues. Il faut en tenir compte. Si quelqu’un me dit : « Je suis tellement motivé que je viendrai même s’il y a l’enterrement de mon père », ça m’inquiète plus que ça m’enthousiasme. Encore une fois, cela est très variable selon les guildes. J’estime qu’il y a de bonnes raisons de ne pas jouer même quand on est très motivé, mais en même temps, si on n’est pas prêt à faire quelques sacrifices, c’est que ce n’est pas vraiment ce que l’on souhaite faire.

51Serge Tisseron : Une fois par an tous les joueurs de votre guilde se rencontrent et parfois plus souvent qu’une fois par an. Est-ce que c’est le cas dans toutes les guildes ?

52Elie Rotenberg : Pas du tout. Dans mon esprit, c’est absolument indispensable pour la cohésion d’une guilde, mais il semble qu’il y ait d’autres guildes qui se rencontrent très peu ou alors par tout petits groupes de 2 ou 3, qui ont des affinités personnelles.

53Serge Tisseron : Et ça marche de façon équivalente ?

54Elie Rotenberg : Oui, cela dépend aussi des catégories sociales. On va se réunir, au restaurant, ou chez quelqu’un.

55Serge Tisseron : Quel est le nom de votre avatar principal ?

56Elie Rotenberg : C’était Sophistie, d’inspiration grecque. En réalité, ce choix est un hasard. À l’époque où j’ai commencé à jouer à World of Warcraft, je faisais pas mal de jeux de rôle, de role-play, et je ne jouais pas du tout le même personnage que je joue actuellement. Je l’avais créé dans le cadre d’un événement role-play. C’était un paladin humain et je lui avais choisi un nom d’inspiration role-play qui correspondait bien à cet événement. J’avais monté quelques niveaux, et quand j’ai décidé de créer un nouveau personnage paladin pour en faire mon personnage principal, plutôt que de remonter les cinq premiers niveaux sur un nouveau personnage j’ai repris celui qui existait déjà, et je me suis retrouvé avec ce personnage qui n’était pas du tout prévu pour être plus tard mon personnage principal, celui qui allait être mon identité sur le jeu. Ce n’était pas du tout quelque chose de planifié consciemment.

57Serge Tisseron : Votre paladin était-il un humain, ou un humanoïde ?

58Elie Rotenberg : Une humaine, plus exactement.

59Serge Tisseron : Pourquoi jouez-vous ?

60Elie Rotenberg : Ça a beaucoup changé au cours des années. Au départ, je jouais comme un simple passe-temps, occasionnellement. Après, quand j’étais en Prépa, c’était clairement pour moi une soupape, je ne faisais pas vraiment de la compétition, mais le fait d’être concentré sur l’avancement dans le jeu, en groupe, etc., me permettait d’évacuer le stress quotidien de la Prépa.

61Serge Tisseron : Mais à cette époque, vous n’alliez pas en cours, donc le stress de la Prépa était limité

62Elie Rotenberg : Justement, c’était d’autant plus stressant qu’il y a des moments où je n’allais pas en cours. Parce que quand je m’en rendais compte, je me disais : « Je ne vais pas en cours, et je suis en Prépa, ça va être une catastrophe. » C’était d’autant plus angoissant en fait. À la fois, c’était une soupape et ça entretenait de l’angoisse. Ça c’est sûr.

63Serge Tisseron : L’objectif pour vous, en jouant, était donc d’écarter une réalité angoissante ?

64Elie Rotenberg : Tout à fait. J’ai commencé la compétition plus tard, juste après être rentré à Normale Sup. Je crois qu’à ce moment-là, je suis allé vers la compétition sur le jeu vidéo parce que j’avais accompli, donc perdu, mon objectif principal des années précédentes qui était de rentrer à Normale Sup. Je n’avais plus vraiment d’objectif à court terme, alors je suis allé vers la compétition sur le jeu vidéo. C’était le moyen de me mesurer, de me tester moi-même et de me prouver des choses … Je ne sais pas quoi précisément …

65Serge Tisseron: Pour être le meilleur ?

66Elie Rotenberg : Pas nécessairement pour être le meilleur, c’est plus le côté être reconnu par ses pairs qu’être le meilleur, en réalité.

67Serge Tisseron : Les pairs étaient donc pour vous, à ce moment-là, non pas les scientifiques de Normale Sup, mais les autres joueurs de World of Warcraft ?

68Elie Rotenberg : C’est exactement ça. C’était tout bêtement le fait de me remettre dans un milieu compétitif. Ce qui est amusant, c’est que je m’y suis mis moi-même, alors que justement, j’avais détesté la Prépa pour cette raison. Je trouvais que la compétition y était négative. Mais sur WoW, la compétition se fait en groupe, elle n’est plus solitaire. C’est totalement différent.

69Serge Tisseron : Vous êtes chef de guilde. Comment l’êtes-vous devenu ? Parce que c’est la guilde que vous avez fondée vous-même ?

70Parce que vous avez été élu ? Le chef d’une guilde peut-il changer ? La guilde est-elle forcément dissoute à son départ ? Est-ce que vous jouez à d’autres jeux que World of Warcraft ?

71Elie Rotenberg : D’abord, oui, je joue à d’autres jeux maintenant que j’ai arrêté World of Warcraft, j’ai beaucoup élargi mes horizons … Quand j’étais chef de Millénium, honnêtement, très peu. Je passais quelques heures sur les jeux vraiment incontournables du marché. Actuellement je joue un petit peu à tout ce qui passe. J’ai un peu joué à Rift, qui est un autre mmorpg[4] un peu du même type que World of Warcraft. Je rejoue aussi pas mal à d’anciens jeux que j’avais beaucoup aimés comme Diablo 2, par exemple, dont le troisième épisode va sortir dans quelques mois, ou bien Starcraft 2.

72Serge Tisseron : Est-ce que vous avez un avis sur Final fantasy, par rapport à World of Warcraft ?

73Elie Rotenberg : C’est beaucoup plus répétitif, on ne peut pas jouer longtemps en étant non répétitif. Ce sont des jeux destinés à un public asiatique où il faut tuer des monstres pendant des heures et on met très très longtemps à monter en niveau. On joue en groupe, pas pour accomplir des objectifs de groupe, mais seulement parce que ce sont des objectifs trop difficiles à faire tout seul. Je pense que ce n’est pas vraiment imaginé pour encourager les activités collectives. Mais je connais moins bien.

74Serge Tisseron : Parlons encore de votre guilde. Quelle était sa place dans le classement international ?

75Elie Rotenberg : Nous avons toujours été dans le top des guildes françaises, parfois même dans le classement mondial.

76Serge Tisseron : Comment sont recrutés les combattants ? On en a déjà un peu parlé, mais j’ai d’autres questions. La demande vous arrivet-elle à vous personnellement ? Et qui décide, finalement ?

77Elie Rotenberg : Il faut savoir que dans une guilde comme la nôtre, la politique de recrutement est quelque chose d’assez compliqué, dans le sens où il n’existe pas une sorte de constitution qui donnerait les règles. Il n’y a pas de loi écrite. En revanche, il y a des pratiques et des principes auxquels les joueurs tiennent beaucoup et dont il faut apprendre à tenir compte. À partir de là, il existe plusieurs types de leaders, et plusieurs types d’organisations. Moi, j’aimais bien avoir le dernier mot sur tout, mais je savais aussi que ce n’était pas possible de gérer explicitement la guilde en dictateur parce que ce n’est pas quelque chose qui fonctionne. Dans un petit groupe de vingt-cinq personnes, on ne peut pas exercer une autorité comme cela. Par contre, je me suis rendu compte qu’il était très rare qu’il se passe dans la guilde des choses qui ne correspondaient pas à ce que je souhaitais qu’il se passe en termes de décision des joueurs. Soit parce que ma propre volonté était le reflet de ce que les autres voulaient, ce que je crois moyennement, soit parce que ça arrangeait bien les autres de me laisser prendre les décisions. Typiquement, pour le recrutement, si j’avais un avis très positif ou très négatif sur un joueur, il était extrêmement rare que mon avis ne soit pas suivi. Je crois même que cela n’est jamais arrivé. Par contre, il y a des fois où je n’avais pas d’avis et où il était hors de question que je me prononce négativement ou positivement, parce que je n’avais aucun avis pertinent et je n’allais pas en donner un juste pour le plaisir.

78Serge Tisseron : Avez-vous plafonné volontairement le nombre de combattants dans votre guilde et peut-il évoluer ?

79Elie Rotenberg : Il y a un équilibre à trouver. Obtenir le bon nombre de bons joueurs avec le bon profil est quelque chose de très difficile à réaliser à de nombreux égards, en particulier à cause de la disponibilité de chacun. Il n’y a pas des milliers de très bons joueurs en France. Donc, si on souhaitait avoir cent cinquante joueurs excellents, on ne pourrait pas les trouver. Il faut quand même en recruter suffisamment pour être couvert s’il y a plusieurs joueurs qui ne sont pas disponibles pendant une période de compétition, ou si on a envie, à un moment donné, d’une composition de jeu particulière. En même temps, il faut qu’on reste suffisamment peu nombreux pour que les joueurs jouent chacun suffisamment longtemps, et qu’ils gardent leur motivation. Parce que si un joueur s’engage à être présent 18 heures sur 24 pendant trois semaines, et qu’au final, il est sollicité pour jouer un seul soir sur trois semaines, alors qu’il voulait vraiment jouer 18 heures sur 24 pendant trois semaines, il est déçu, ça ne correspond pas à ce qu’il recherche.

80Serge Tisseron : Il arrive qu’il y ait des joueurs que vous mobilisez, mais que vous n’utilisez pas ?

81Elie Rotenberg : Justement, c’est malheureusement arrivé quelques fois, mais c’est ce qu’on cherche à éviter en ayant pas trop de membres, plutôt 35 ou 40 que 55 ou 60.

82Serge Tisseron : Est-ce que les membres de la guilde tiennent à s’affirmer comme en faisant partie ?

83Elie Rotenberg : Oui, à la guilde Millenium, pour la plupart, c’était quelque chose dont ils étaient très fiers. Il y en avait quelques-uns qui s’en fichaient, mais c’était très rare, et d’autres qui disaient s’en ficher, mais en réalité c’était important pour eux. Ça s’est bien vu quand on a interrompu la guilde. Il y en a beaucoup qui ont eu beaucoup de mal. Même en ayant arrêté le jeu, ils sont restés techniquement dans la guilde pour avoir sur le site Web du jeu le nom Millenium en dessous du nom de leur personnage. Il a existé une attache forte à la guilde.

84Serge Tisseron : Peut-être vous allez tous vous retrouver dans dix ans ?

85Elie Rotenberg : C’est une possibilité, j’ai gardé beaucoup de liens avec d’anciens joueurs, ça se fait fréquemment.

86Serge Tisseron : Vous me disiez que pour vous c’est important que les joueurs d’une guilde se rencontrent de temps en temps dans la vraie vie. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?

87Elie Rotenberg : Pour une histoire, un, de loyauté et deux, d’humanisation en quelque sorte. Pour se rendre compte qu’on joue avec des gens. Pour que les joueurs se rendent compte que quand on fait défaut, on ne fait pas juste défaut aux personnages, mais surtout aux joueurs. On ne passe pas du temps sur un jeu, non, on passe du temps avec des joueurs. C’est essentiel pour moi. Avec des joueurs autour d’un jeu, mais avec des joueurs. Pour moi, c’est important que quand on investit autant d’énergie dans une compétition qui se passe parfois à des centaines de kilomètres de distance entre les joueurs, on soit bien conscient qu’on participe avec des gens. Et puis j’ai remarqué que les problèmes se résolvaient beaucoup plus simplement quand les gens avaient clairement identifié entre eux qu’ils étaient des êtres humains. Ça allait moins facilement vers les insultes, vers les culs-de-sac argumentaires, etc.

88Serge Tisseron : Je crois que nous sommes au c œur de la question de l’empathie. Le rôle de la rencontre réelle des regards, des mimiques dans l’empathie. On parle parfois d’addiction dans les jeux vidéo. Est-ce que vous avez un jour pensé que vous aviez une addiction, en cette fameuse période où vous jouiez 18 heures, 20 heures par jour ?

89Elie Rotenberg : J’y ai pensé, je me suis rendu compte plus tard que c’était une absurdité. J’y ai pensé parce que le discours médiatique est tellement fort que l’on se sent addict parce que l’on nous dit que l’on est addict. En réalité, je pense que je n’étais absolument pas sujet à une addiction. À d’autres phénomènes ou à d’autres mécanismes j’ai pu être sujet, c’est certain, mais je ne parlerai pas d’addiction, pour une raison très simple. C’est qu’il est assez unanimement reconnu chez les joueurs que quand on arrête de jouer pendant une semaine, c’est quand même très court comme sevrage, on n’a plus du tout envie de jouer, ou beaucoup moins. L’effet d’auto-entretien, c’est-à-dire « jouer pousse à jouer », c’est un effet très fort, mais à très faible échelle. C’est-à-dire que cet effet s’estompe complètement en quelques heures. Bien sûr, quand on est en train de jouer, on a envie de continuer à jouer, et quand on arrête de jouer, on a hâte de pouvoir s’y remettre. Mais en trois heures, quatre heures c’est terminé, parfois un peu plus dans certaines situations, mais je ne connais personne qui a envie de jouer à World of Warcraft quand il revient de deux semaines de vacances. On y revient parce qu’on a des obligations par rapport à une guilde par exemple, et le fait de s’y reconnecter redonne envie d’y jouer. Je ne parlerai pas d’addiction, à la limite ce qui correspondrait le plus et qui pourrait avoir des symptômes un peu analogues, ça serait évidemment le mécanisme social de la guilde. Ce n’est plus la guilde qui est dépendante des joueurs, ce sont les joueurs qui sont dépendants de la guilde. On ressent l’appel de la communauté. « Les joueurs ont besoin de moi, ce soir j’irais bien dîner avec toi, mais on a besoin de moi, donc je vais y aller. » Je ne sais pas si c’est cela pour tout le monde mais dans mon cas, je me suis senti beaucoup plus contraint de jouer pour les autres qu’avec l’envie irrépressible d’aller jouer. Je me suis senti le devoir d’aller jouer, mais je me suis très peu senti le besoin irrépressible d’aller jouer. Un aspect qui m’a beaucoup intéressé qui fait partie des choses qui m’ont conduit à arrêter, c’est cet aspect de devoir jouer plus qu’avoir envie de jouer, même dans le cadre des objectifs qu’on s’est fixés.

90Serge Tisseron : Est-ce que vous avez pensé par rapport à d’autres joueurs qu’ils pouvaient avoir une addiction ?

91Elie Rotenberg : Je dirais que pour certains, ça les a enracinés, ou maintenus, dans une situation qui n’était pas enrichissante. Quelqu’un qui est au chômage depuis très longtemps, qui a des projets à c œur mais qui ne les réalise pas, il va se dire au bout d’un moment : « Assez je vais faire quelque chose. » Mais quelqu’un qui a la possibilité d’entretenir une activité sociale sur World of Warcraft, se sent utile à la communauté parce qu’il est utile à sa guilde. Il a des récompenses en termes d’estime de soi. Tuer un boss, c’est gratifiant, savoir qu’on a rempli le rôle, le fait que 24 personnes voulaient qu’on joue est très gratifiant. Le fait d’avoir ces récompenses-là, je pense, éloigne les problèmes critiques qui peuvent se poser à quelqu’un qui est dans une situation désagréable et qui n’a pas quelque chose pour les évacuer. Mais je ne pense pas pour autant que ce soit négatif. Ça entretient une situation qui, dans l’absolu, paraît sans issue bien sûr ; mais d’un autre côté ça apporte quand même ce qui est la version la plus proche du bonheur social à des gens qui n’auraient peut-être pas rapidement la possibilité de l’acquérir dans la « vraie vie ».

92Serge Tisseron : Donc, vous considérez plutôt comme positif, du point de vue de l’humain ce qui est en général considéré plutôt négatif du point de vue de la société ?

93Elie Rotenberg : Je me positionne un peu volontairement de façon caricaturale, mais en tout cas, ce qui est certain, c’est que c’est trop simple de dire que les jeux vidéo détruisent la vie des gens. Pour les gens qui vivent un quotidien qui ne leur est pas plaisant, le jeu en ligne leur apporte des choses de façon évidente.

94Serge Tisseron : En fait, c’est comme une balance. Il faut voir d’un côté ce que ça enlève et d’un autre côté ce que ça apporte à la vie. Si ça enlève plus que ça apporte ou inversement. Vous voulez dire qu’il y a des gens qui peuvent passer beaucoup de temps à jouer mais finalement ça va leur apporter plus que ce que ça leur enlève parce que leur vie est assez pauvre d’un autre côté.

95Elie Rotenberg : Sur le long terme, c’est difficile à dire. Mais à court terme, c’est un loisir, c’est une activité sociale très peu coûteuse qui est accessible à peu près n’importe où. J’ai eu des amis qui étaient en poste à l’étranger, qui ne connaissaient personne, qui parlaient mal la langue, s’ils avaient fait énormément d’efforts, ils auraient peut-être pu s’intégrer là-bas. Mais pendant les deux mois de leur mission ou les trois semaines de leur déplacement, le fait d’être en contact avec leur communauté quotidienne indépendamment du lieu où ils se trouvaient les a beaucoup aidés.

96Serge Tisseron : Ce sont des cadres qui se déplacent beaucoup, qui travaillent pour leur patron la journée, et vont sur les jeux vidéo la nuit, rejoindre leurs amis.

97Elie Rotenberg : Tout à fait, il y en a beaucoup. Une autre situation que j’ai vue aussi souvent, c’est des patrons dans la journée qui sont bien contents d’être de simples exécutants le soir. Je l’ai vu de nombreuses fois. Ils ont des responsabilités importantes, ils commandent toute la journée et ils aiment bien juste obéir aux instructions le soir. C’est une détente en fait, pour certains d’entre eux.

98Serge Tisseron: J’ai entendu dire que beaucoup de chefs de guilde se retrouvent ensuite intégrés dans les entreprises qui gèrent des jeux vidéo. Est-ce que c’est vrai, est-ce que c’est faux, y avez-vous pensé vous-même ?

99Elie Rotenberg : Je vais répondre en plusieurs temps. Statistiquement je n’en ai aucune idée, pas de nombre précis. Ce qui est certain c’est que historiquement, les deux chefs des guildes les plus connus sur EverQuest, qui a été un jeu fondateur, le sont devenus.

100Serge Tisseron : Oui, je me rappelle de ce jeu. C’est le premier qui ait scotché certains joueurs. On a cherché un nom pour désigner ce phénomène, et le mot Everquestite a été proposé. C’était un mot construit sur le modèle médical en ajoutant le postfixe « ite » au nom du jeu. C’était en quelque sorte la fièvre d’EverQuest. Ce n’est que plus tard que le modèle de « l’addiction sans substance » a été proposé pour désigner ce phénomène.

101Elie Rotenberg : EverQuest a été aussi le jeu fondateur des premières communautés. La communauté Millenium date d’EverQuest, elle ne s’appelait pas encore comme cela, mais elle date d’EverQuest. Pour répondre à votre question, deux joueurs très connus de guildes américaines, je crois, occupent des postes à très haute responsabilité dans le game design de World of Warcraft. Ils s’appellent Tigole et Furor, c’était leur pseudo, je ne me rappelle plus exactement de leur nom, ni de leur poste, mais ils occupent des postes à très haute responsabilité. Avant, ils étaient des chefs de guilde très connus, notamment pour être très protestataires vis-à-vis des développeurs. Ils disaient souvent : « Ça c’est nul dans le jeu, il faut l’améliorer et pourquoi ça ne s’améliore pas. » On a au moins ces deux exemples-là qui sont assez célèbres. De façon générale, que les gens qui sont chefs de guilde aient aussi une propension plus naturelle ou une probabilité plus élevée de travailler aussi dans l’industrie des jeux vidéo, ça me semble assez normal sans qu’il y ait nécessairement de lien causal direct. Pour moi, ce n’est pas parce qu’ils étaient chefs de guilde qu’ils sont devenus développeurs de jeux vidéo, mais c’est parce que le jeu vidéo les intéressait beaucoup qu’ils sont devenus chefs de guilde et qu’ils ont fait ensuite carrière dans les jeux vidéo. En ce qui me concerne, je ne suis pas devenu développeur de jeux vidéo, mais l’activité professionnelle – ou semi professionnelle – que j’ai avec Millenium est très clairement liée à mon activité de joueur. En l’occurrence, ceux qui travaillent avec ou pour Millenium sont quasiment tous d’anciens joueurs pouvant occuper de hautes responsabilités. On est dans un site Web qui est très important, très professionnel, avec des rédacteurs professionnels, etc.

102Serge Tisseron : C’est un site Web qui est bénévole ?

103Elie Rotenberg : Non. Une partie seulement est bénévole. Au départ, c’était une association de joueurs qui a émergé de la guilde Millenium sur World of Warcraft.

104Serge Tisseron : Qu’est-ce que vous proposez comme service ?

105Elie Rotenberg : C’est un site d’informations qui est gratuit.

106Serge Tisseron: Les gens qui y travaillent sont bénévoles ?

107Elie Rotenberg : Non, ils sont payés par la pub comme pratiquement pour tous les sites gratuits.

108Serge Tisseron : Est-ce que des joueurs passent ensuite dans l’animation du site ?

109Elie Rotenberg : Oui, sur World of Warcraft, il y a un autre aspect de Millenium qui est intéressant : la partie mmorpg. Mais il existe aussi des jeux de compétition plus orthodoxes, essentiellement de stratégie et de tir, les FPS [5] et les RTS [6]. Starcraft 2, en particulier, constitue une énorme scène compétitive et Millenium gère une des équipes françaises qui est l’une des meilleures d’Europe.

110Serge Tisseron : Donc Millenium est à la fois le nom de la guilde qui a remporté plusieurs victoires sur World of Warcraft et celui d’un site Web.

111Elie Rotenberg : Une des choses qui m’a poussé à m’investir dans le site Web Millenium, c’est que je savais que je jouais bien. J’avais envie de partager mon érudition. Donc j’ai commencé à écrire des guides pour la classe que je jouais, c’était « paladin protection », on expliquait quelles quêtes il fallait choisir, quelle capacité il fallait utiliser, etc. Ça a très bien marché, on a fait travailler d’autres gens qui avaient envie de partager ces jeux-là donc on a écrit plusieurs guides. Ça paraîtra très commercial, mais une bonne façon d’être performant c’est de lire des guides et notamment les nôtres. À la base ce qui m’a poussé à écrire, c’est l’envie de partager sa propre connaissance avec les autres. Je pense qu’il y a vraiment quelque chose de très proche des corporations dans World of Warcraft où un novice va prendre ses informations d’un compagnon qui va prendre ses informations dans la corporation. C’est quelque chose qui se faisait beaucoup dans le passé, mais qui a disparu. Il y a une pression de performance tellement forte dans la société qu’il en est né un besoin de tutoriaux, de guides, de partage. Sur World of Warcraft, le but, ce n’est pas d’être meilleur que les autres, c’est d’être reconnu par les autres comme performant.

112Serge Tisseron : World of Warcraft tirerait donc son succès d’avoir réinventé pour les adolescents et les jeunes diplômés le système du « compagnonnage » qui a présidé au monde industriel jusqu’à la dernière guerre ! Quels conseils donneriez-vous aux jeunes joueurs pour qu’ils arrivent à concilier leur temps d’activités scolaires et leur temps de jeux ?

113Elie Rotenberg : Il faut avant tout bien savoir ce qu’on recherche dans le jeu. Est-ce qu’on a vraiment envie de jouer ? Est-ce que ça correspond à un objectif propre ? Ou bien, est-ce que c’est par défaut ? Pour moi c’est très différent.

114Si le jeu est un refuge, je vois mal comment réduire son temps de jeu pour régler le problème de fond. Si on utilise le jeu comme un médicament ou comme un anti-inflammatoire ce n’est pas en réduisant la dose qu’on va moins souffrir. C’est plutôt le contraire.

115Serge Tisseron : Si on joue pour le plaisir, pour un objectif dans le jeu, ce serait plutôt bien pour vous, tandis que si on joue pour fuir la réalité, ce serait plutôt pas bien ?

116Elie Rotenberg : Ça ne se joue pas à un niveau moral, il faut faire quelque chose par ailleurs, on peut continuer à jouer même si ça ne correspond pas à un objectif, parce que ça soulage, mais cela veut dire qu’il y a d’autres choses à faire que jouer.

117Serge Tisseron : Pourtant, vous disiez tout à l’heure qu’en deuxième année de Prépa, vous jouiez pour fuir.

118Elie Rotenberg : J’ai eu de la chance parce que mes concours se sont bien passés et du coup ma source principale d’angoisse s’est résorbée.

119Serge Tisseron : La théorie que vous développez maintenant, si j’ai bien compris, correspond à ce que vous avez vécu après la classe Prépa, lorsque vous vous êtes mis à jouer pour ce que vous y trouviez (vous avez parlé de l’esprit de compétition en groupe) et plus pour fuir quelque chose.

120Elie Rotenberg : Depuis deux ans à peu près, j’ai des objectifs clairs dans le jeu, je joue ni plus ni moins que ce qui correspond à mes objectifs, et je m’arrête quand j’en ai tiré à peu près ce que je voulais en retirer. J’ai choisi de jouer beaucoup plus que de faire autre chose, mais je savais à quoi m’attendre, c’est comme quand on décide de s’investir à faire du rugby ou une autre activité.

121Serge Tisseron : Et maintenant vous continuez à jouer de temps en temps.

122Envisagez-vous de vous investir avec la même intensité dans un autre jeu ?

123Elie Rotenberg : Je joue beaucoup moins parce que j’estime avoir retiré ce que j’avais envie d’en retirer. Je serai toujours un joueur, mais je serai probablement plus jamais un joueur qui cherche à réaliser des records.

124Serge Tisseron :Avez-vous des remarques à faire sur Word of Warcraft, son marketing, son esthétique, son gameplay ?

125Elie Rotenberg : Le marketing, ils n’ont pas besoin d’en faire ; c’est un jeu que tout le monde connaît.

126L’esthétique : pour moi c’est un concentré de clichés qui répond exactement à l’imaginaire sur énormément de thématiques. Le plus flagrant c’est le design des différentes zones de jeux, c’est exactement Disneyland. Les zones sont des parcs à thèmes, que ce soit au niveau des couleurs, des objets, des modes de déplacement, des civilisations. C’est vraiment un pot-pourri de tous les imaginaires du jeu vidéo, de l’Héroïc Fantasy à la science-fiction, en passant par l’archéologie égyptienne. Il y a tout, c’est incroyable le travail qui est fait à ce niveau-là, c’est un travail extraordinaire, stupéfiant.

127Serge Tisseron : Et le gameplay ?

128Elie Rotenberg : Il correspond à l’esthétique. C’est tous les clichés, c’est vraiment caricatural, aucune innovation pratiquement, mais par contre une maîtrise du détail incroyable. C’est toutes les bonnes idées qui ont été sur le marché depuis dix ans en mieux, avec un souci énorme d’ergonomie, de facilité d’accès, de spontanéité. On sent vraiment que les développeurs ont envie qu’un guerrier utilise de la force et qu’un mage utilise de l’intelligence parce que c’est comme cela dans la tête des gens. Les buts marketing sont clairement exprimés. Les concepteurs disent : on veut qu’il y ait suffisamment de profondeur pour que les gens qui s’intéressent à l’aspect très technique du jeu ou à son aspect esthétique, aient quelque chose à se mettre sous la dent. Mais on veut aussi que n’importe qui puisse jouer. C’est l’idée qu’il doit y avoir la même possibilité de s’investir entre le joueur qui joue le moins et le joueur qui joue le plus, et que la différence de résultats ne doit pas être si grande que ça. Le meilleur joueur doit tuer facilement le joueur le plus faible, mais le meilleur joueur ne doit pas tuer facilement cinquante fois le joueur le plus faible.

129Serge Tisseron : Comment fait-il pour ne pas le tuer cinquante fois ?

130Elie Rotenberg : C’est une construction très complexe du gameplay, qui va demander beaucoup d’analyses sérieuses même pour quelqu’un avec une formation plutôt scientifique comme la mienne. Il y a des équations différentielles assez complexes. Au final, entre celui qui joue de la façon la plus simple et la plus intuitive et celui qui joue le mieux, il va y avoir de l’ordre de 20% ou 30% maximum de différence.

131Serge Tisseron : Beaucoup d’intelligence mise à jouer rapporte peu de compétence supplémentaire.

132Elie Rotenberg : Ça rapporte peu d’efficacité dans le jeu, mais c’est assez satisfaisant intellectuellement. C’est une mécanique très bien huilée. On se rend compte qu’on est vraiment meilleur que les autres, mais ce n’est pas flagrant.

133Serge Tisseron : Il faut travailler énormément pour obtenir un petit gain.

134Elie Rotenberg : Il y a une sorte d’auto-équilibrage des niveaux qui correspond un peu à ce qui se fait au niveau social. Des mécaniques relativement complexes amènent au fait qu’on se retrouve toujours à jouer avec des gens qui ont à peu près le même niveau que soi. Pour moi, c’est principalement pour des raisons de sociabilité. Les équipes s’organisent avec des gens à peu près du même niveau parce qu’on ne reste pas avec des gens qui sont plus faibles et on est vite agacé par les gens qui sont plus forts ; pour moi c’est un élément très fort communautaire. On ne se sent jamais exclu en terme de niveau, et pourtant il y a vraiment un gradient de niveau, surtout pour les guildes. Là il y a un gradient d’efficacité qui va du simple au centuple. Les joueurs ne s’en rendent pas vraiment compte. Ils savent qu’il y a des guildes meilleures qu’eux, qu’il y a des guildes moins bonnes, n’importe quelle guilde trouvera toujours une guilde moins bonne qu’elle, même une très mauvaise guilde, et tout le monde se sent roi dans son royaume et se sent reconnu.

135Serge Tisseron : Comment voyez-vous les jeux vidéo de demain ?

136Elie Rotenberg : Les formes de jeux vidéo se multiplient et les publics se multiplient, par contre, il y a un risque par rapport au marché du jeu vidéo c’est que les marchés les plus rentables ne ciblent pas du tout les joueurs classiques et je ne suis pas certain que l’on ait encore beaucoup de bons jeux à se mettre sous la dent, d’ici dix ans, tout ce qui est micro jeux Facebook, sociaux, ce genre de choses, ont leur intérêt mais moi ce n’est pas la chose que je recherche, en tout cas ce n’est pas le même produit culturel, les jeux portables sur iPhone sont plus des micro jeux avec souvent une profondeur assez limitée et qui ne correspondent pas à l’idée qu’on se fait d’un jeu qui serait à placer à côté d’un film ou d’un roman en termes de produit culturel.

137Serge Tisseron : Je pense qu’on va régresser dans la qualité des scénarios avec le passage au téléphone mobile, il faudra quelques années pour revenir à la complexité.

138Elie Rotenberg : Je n’en suis pas certain, parce que ça correspond vraiment à un autre public, je ne vois pas cela en terme de régression, pour moi c’est une progression parce que ça touche plus de gens.

139Serge Tisseron : En tout cas, il y aura une régression au niveau des scénarios, ce sera plus sensori-moteur.

140Elie Rotenberg : Cela me paraît difficilement évitable. Je me demande si dans quinze ans les jeux vidéo tels qu’on les connaît aujourd’hui, ou tels qu’on les a connus il y a quelques années, n’occuperont pas dans le marché des jeux vidéo la même place qu’un film d’Almodovar ou de Godard dans le monde du cinéma.

141Serge Tisseron: Est-ce qu’il y a des domaines que je n’ai pas abordés et dont vous avez envie de parler ? Ou un sujet que vous avez envie de préciser ?

142(silence)

143J’ai vu des adolescents qui disent : « Mon vrai travail, c’est World of Warcraft. Mes devoirs scolaires, je les fais dans le bus ou dans le métro le matin sur le chemin de l’école. » Est-ce que vous reconnaissez ce que vous avez été dans cette formulation ?

144Elie Rotenberg : Cela a failli me poser des problèmes, heureusement, ça n’a pas été le cas. Même, récemment dans le cadre des objectifs que je m’étais fixés, ça a failli être un problème. J’étais suffisamment organisé pour que ça ne se fasse pas vraiment, mais c’est assez facile de se laisser dépasser par les responsabilités qu’on a quand on est chef de guilde. Ce sont des vraies responsabilités, même si c’est dans un monde qui est virtuel. Les responsabilités sociales sont réelles, les déceptions sont réelles. Pour moi, la décision a été très difficile à prendre, de dire « j’arrête », parce que j’ai du renoncer à ma position d’autorité. Or, particulièrement dans le type d’éducation qu’on reçoit en France dans les années 2000, l’autorité est plutôt considérée comme quelque chose de positif. Abandonner une position d’autorité très forte sur quarante personnes, c’est quelque chose qui n’est pas facile à faire, ni à oublier. D’autant plus que ces quarante personnes sont venues me voir les unes après les autres en disant : « Je suis très déçu, ce n’est pas ce qu’on attendait de toi. » Je savais que ça arriverait, mais ce n’est pas quelque chose qui a été facile.

145Serge Tisseron : Ce que vous dites me fait penser aux travaux actuels sur les stratégies de motivation. Ce qui est le plus motivant pour accomplir une tâche, c’est de se fixer soi-même son objectif en ayant la possibilité de se faire aider par d’autres. Malheureusement, les institutions scolaires sont très éloignées de ce modèle. En revanche, le jeu World of Warcraft utilise ces stratégies motivationnelles.

146Elie Rotenberg : Oui, je ne partage pas du tout l’idée communément répandue que les gens joueraient pour être les plus forts, pour être meilleurs que les autres. Je pense vraiment que « être le plus fort », les gens s’en fichent. Ils veulent « jouer avec les plus forts », être reconnus comme faisant partie de la communauté des plus forts. Cela ne s’appuie pas du tout sur la même logique.

147Serge Tisseron : C’est d’ailleurs quelque chose que des joueurs mettent en avant pour évoquer leurs difficultés à arrêter de jouer. Dès qu’ils parlent avec des non-joueurs de ce qu’ils font et dont ils sont fiers dans le jeu, ils sont terriblement déçus de découvrir que cela n’a aucune importance pour leurs interlocuteurs. Du coup, la tentation est de revenir dans le jeu où on est reconnu.

148Elie Rotenberg : J’ai vécu un épisode traumatisant assez différent. Assez rapidement, j’ai été très honnête avec mes parents en montrant ce que je recherchais dans le jeu, et un grand traumatisme m’est arrivé quand ils ont commencé à dire à leurs amis, de façon très fière, que j’étais responsable d’une grosse guilde sur World of Warcraft. C’était terrible je me sentais dépossédé de mon monde parallèle, j’exagère mais en même temps, c’est vrai, c’était très troublant.

149Serge Tisseron : Vous étiez en même temps dépossédé et gratifié.

150Elie Rotenberg : Ce n’était pas si traumatisant que cela, mais dans ma tête, c’était troublant.

151Serge Tisseron : Ce qui aurait pu être plus traumatisant encore, c’est que les amis de vos parents leur aient dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ça, on n’en a jamais entendu parler ? »

152Elie Rotenberg : Leurs amis en avaient vaguement entendu parler, mais ils avaient en tête le cliché le plus répandu, à savoir que c’est une activité très déviante, etc., alors que probablement leurs enfants y jouaient aussi. C’était plaisant de ne plus être dans le conflit, mais en même temps, cela avait quelque chose d’étrange.

153Serge Tisseron : Vous dites que jouer, c’est un travail, c’est la responsabilité de ne pas décevoir les autres … Mais le plaisir dans World of Warcraft est multidimensionnel. Moi, quand je joue, je cours le long des routes pour découvrir des paysages parce que j’adore découvrir les paysages de World of Warcraft. J’appelle ma famille, « regardez comme c’est beau », c’est une autre manière de jouerIl y a une manière de jouer qui est de vouloir monter le niveau 80, une autre d’être intégré dans une guilde, une troisième de se promener …

154Elie Rotenberg : Tout le monde a cette première expérience au début, celle du plaisir d’explorer. L’expérience au niveau maximum est tout à fait différente. L’expérience de jeu est ce qui fait qu’on a envie de jouer, sauf dans les cas intermédiaires où on est dans un groupe d’amis. Alors, si tous nos amis jouent à World of Warcraft et que soi-même on ne joue pas, on va se dépêcher de monter de niveau pour jouer avec les autres. On est déjà dans l’optique haut niveau, on n’est plus en train de débuter. Le côté initiatique, de découverte, très important quand on commence, ne dure pas longtemps. Pour moi, ce n’est pas le c œur du phénomène social que constitue World of Warcraft. Ce c œur, c’est vraiment ce qui se passe à haut niveau, les relations entre joueurs de haut niveau. C’est l’originalité de World of Warcraft, en partie parce qu’elle est massive.

155Serge Tisseron : Quand une activité est pratiquée par plus de 30 ou 40% des gens, elle fait un saut, ceux qui ne la pratiquent pas encore veulent entrer dans le groupe de ceux qui la pratiquent.

156Elie Rotenberg : Il y a plusieurs raisons qui expliquent le succès de World of Warcraft, ce qui est certain c’est qu’il y a un effet d’entraînement plus fort que dans d’autres jeux. Ces questions sont assez proches de mes sujets de recherche, puisque je travaille actuellement sur les réseaux complexes, les réseaux sociaux en particulier.

157Serge Tisseron : Alors j’espère qu’on aura d’autres occasions d’en parler ?

158Elie Rotenberg : Bien volontiers.

Notes

  • [*]
    Interview réalisée en avril 2011.
  • [1]
    http://millenium.blogs.liberation.fr/jeux_video/2011/11/joueur-de-world-of-warcraftune-exp%C3%A9rience-pas-si-virtuelle.html
  • [2]
    . Une guilde de compétition se fixe pour objectif d’être la première à abattre les nouvelles créatures monstrueuses – les « boss » – fabriquées par les programmeurs du jeu (NdR).
  • [3]
    La préparation de l’École Normale Supérieure se fait sur deux ans. Le concours a lieu à la fin de la seconde année (NdR).
  • [4]
    Massively Multiplayer Online Role-Playing Game, ou Jeu de rôle en ligne massivement multi-joueurs. Il s’agit de jeux dans des univers persistants qui peuvent réunir plusieurs millions de joueurs en même temps (NdR).
  • [5]
    fps : First-Person Shooter, jeux de tir type « Counter Strike » en vue subjective.
  • [6]
    rts : Real-Time Strategy, jeux de stratégie type « Starcraft ».
Serge Tisseron
Univ. Paris Ouest Nanterre La Défense
LASI, EA 3460
92001 Nanterre Cedex, France
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/04/2012
https://doi.org/10.3917/ado.079.0063
Pour citer cet article
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