1L’« Europe sociale » a fait l’objet d’un fort investissement politique depuis les années 1990. Pourtant, dans les publications de la Commission européenne, le taux de chômage, le nombre d’accidents du travail, le taux de pauvreté, le taux d’accès à Internet, etc., s’ils sont croisés, au mieux, avec des niveaux de revenu ou d’éducation ne sont jamais mis en relation avec l’appartenance à des groupes socioprofessionnels. Quand on connaît l’importance de ce type d’outil dans l’objectivation et la « certification » des groupes sociaux et dans l’analyse des inégalités [1], on peut être étonné. Dans le même temps, cette absence ne signifie pas un manque total d’intérêt pour ces outils : depuis une quinzaine d’années, la Commission a mis en œuvre une série de programmes visant à constituer une nomenclature socioprofessionnelle ou socio- économique à l’échelle européenne.
2La recherche en cours présentée ici porte sur ce projet, à travers une analyse des débats et controverses qui l’ont ponctué depuis la fin des années 1990 et une reconstitution des réseaux qui l’ont porté et se sont affrontés pour proposer une « unification théorique » de l’espace social européen [2]. Il est à ce jour toujours en discussion et aucune option n’a été officialisée. Ce projet, baptisé European Socio-economic Classification (ESeC) [3], est dérivé du « schéma de classe » proposé par le sociologue britannique John Goldthorpe. S’il a fortement mobilisé quelques sociologues et statisticiens, ce projet a suscité peu d’intérêt au sein des bureaucraties de l’UE ou encore des Instituts statistiques nationaux (INS). La question des inégalités sociales que l’outil permet d’appréhender ne constitue pas une préoccupation centrale dans l’état actuel de la construction européenne, où les inégalités sont davantage pensées en termes de « minorités » sexuelles, ethniques, religieuses, etc. Au sein du groupe d’experts – sociologues et statisticiens – qui se penchent sur la nomenclature, la question des classes sociales est largement absente et la discussion se focalise sur la pertinence d’un concept théorique, la relation d’emploi, forgé par Goldthorpe. Le débat se fait à huis clos sans la participation d’autres acteurs que ces experts, par exemple les représentants syndicaux ou patronaux. De plus, la fabrication de la nomenclature ne s’opère pas en référence à des supports réglementaires ou des formes d’action collective permettant de capter l’existence de groupes sociaux « réels ». L’étude de ce projet nous permet d’interroger la manière dont sont pensées (ou pas) les classes sociales à l’échelle européenne en analysant les propriétés, le savoir-faire, les intérêts et les conceptions du monde portés par les agents qui se mobilisent afin d’imposer et d’institutionnaliser une vision particulière des divisions du monde social.
Entre impulsion bureaucratique et appropriation académique. Genèse d’un projet de nomenclature socio-économique européenne
3La politisation des thématiques relatives à l’« Europe sociale » au cours des années 1990 et l’émergence, au niveau des institutions européennes, de formes d’action publique tournées vers l’emploi [4] et l’exclusion sociale [5], sont allés de pair avec un développement de l’appareil statistique européen. Une politique volontariste d’harmonisation des outils statistiques a été engagée, avec une standardisation croissante des enquêtes communautaires [6], un effort de convergence des catégories statistiques [7] et, surtout, l’élaboration d’indicateurs destinés à mettre en concurrence les États et à diffuser les « meilleures pratiques » [8]. C’est dans ce cadre qu’un projet européen de nomenclature socioprofessionnelle a été lancé à la fin des années 1990 [9] et qu’Eurostat a commandé différents rapports. Dans le premier rapport exploratoire, confié en 1999 à Bernard Grais (statisticien-économiste de l’INSEE), les nomenclatures existantes dans les États servent de référence et de justification du projet : « Les nomenclatures de catégories socio-économiques (CSE) utilisées dans un certain nombre d’États-membres de l’UE ont montré un large pouvoir explicatif et ont constitué, au niveau national, un facteur d’intégration incomparable des statistiques sociales. Une nomenclature européenne harmonisée de catégories socio-économiques pourrait jouer, au niveau européen, le même rôle fédérateur en fournissant un langage commun permettant de mieux intégrer les données statistiques sociales communautaires, horizontalement dans chaque État-membre et verticalement à l’échelon européen » [10].
4Si ce type d’argument devait souligner l’intérêt de l’instrument pour la Commission, ce sont surtout les représentants de la France et de la Grande-Bretagne, deux États ayant une tradition forte en matière de nomenclature socioprofessionnelle [11], qui sont à l’initiative de la commande d’Eurostat.
5Le rapport de Bernard Grais propose un état des lieux des nomenclatures qui repère les convergences et les divergences et compare les logiques qui commandent, dans les différents pays, la représentation des groupes sociaux pour identifier ce qui pourrait être commensurable dans les catégories et approches. Il choisit ainsi une option ambitieuse par rapport à celle plus minimaliste et évoquée dans d’autres arènes [12], consistant à croiser la Classification internationale type des professions (CITP) [13] avec quelques variables comme le statut d’emploi ou l’emploi public/privé.
6Mais la direction d’Eurostat ne semble pas souhaiter poursuivre dans cette direction puisque le second appel d’offre sur le projet est remporté par l’Office for National Statistics (ONS) britannique qui débouche sur une proposition « théorique » radicalement différente. L’ONS sous-traite le rapport à une équipe de sociologues de l’université d’Essex (David Rose et David Pevalin) et un économiste de l’université de Warwick (Peter Elias). Il s’agit de proches de John Goldthorpe qui ont œuvré dans les années 1990 pour l’adoption du schéma de classe modifié comme nomenclature officielle de la Grande-Bretagne en 2001 [14]. Rendu en 2001, le rapport de cette équipe propose sans surprise une nomenclature largement inspirée par le schéma goldthorpien [15]. Au point mort jusqu’en 2003, la promotion du projet se déplace alors d’Eurostat vers la DG Recherche grâce aux relais dont ces sociologues y disposent de longue date. La DG Recherche octroie une subvention de 800 000 € à un Consortium composé de sept équipes d’universitaires et de statisticiens (de l’ONS et de l’INSEE). Celui-ci soumet en 2006 le « prototype ESeC » [16] [voir tableau « Le projet de nomenclature socio-économique européenne ESeC », p. 128].
7Celui-ci se construit autour du schéma de Goldthorpe qui, également appelé EGP (d’après les initiales de ses principaux concepteurs : Robert Erikson, John Goldthorpe et Lucienne Portocarero) [17], date des années 1970 et définit « les positions de classe » à partir de deux caractéristiques, la situation sur le marché (market situation) et la situation de travail (work situation). Selon Goldthorpe, ces deux paramètres déterminent les life chances, considérés comme relativement homogènes au sein d’une même classe : les revenus et leur progression, les choix éducatifs, la santé, le comportement politique, etc. Au début des années 1990, les deux critères sont subsumés sous le concept de « relation d’emploi » (employment relationship) qui semble marquer un durcissement théorique [18].
8Le prototype ESeC, comme la nomenclature des PCS, oppose les salariés aux employeurs et aux travailleurs indépendants (classes 4 et 5). Il distingue les salariés en fonction de la relation de subordination avec leur employeur, depuis la relation de type « contrat de travail » (classe 9) jusqu’à la « relation de service » (classes 1 et 2), un continuum de situations « mixtes » s’intercalant entre les deux. Au premier pôle, dont l’ouvrier dans une organisation du travail taylorienne fournit le modèle, le contenu de l’emploi, les conditions de son exercice et sa rémunération sont soumis à un contrôle strict. Les tâches sont répétitives, la sécurité de l’emploi et la couverture sociale sont faibles et le salarié est rémunéré à l’heure ou à la pièce [19]. À l’autre pôle qui regroupe (au prix d’une entorse par rapport au cadre théorique) les professionals (avocats, médecins) et les grands patrons, le salarié dispose d’une large autonomie liée à des fonctions d’encadrement de haut niveau ou à la possession de compétences spécifiques. Il bénéficie de la sécurité de l’emploi et sa rémunération prend la forme de traitement et des augmentations de salaire prévues dans le contrat ; la « relation de service » se caractérise par un échange sur le long terme. Au total, ce n’est pas la formation ou la qualification du salarié, ni le type d’entreprise (public ou privé) dans laquelle il travaille, qui détermine l’assignation à une classe, mais la relation unissant le salarié et l’employeur, le degré d’autonomie et de relation hiérarchique, mesuré au nombre de personnes encadrées (critère de la supervision). Cette approche est tributaire du modèle de la grande entreprise caractérisé par une forte division du travail et consiste in fine à différencier les positions sociales en lien avec le types de problèmes qui se posent à l’employeur (specificity of human assets, difficulty of monitoring) dans la définition des contrats de travail (contractuel hazard) de ses salariés [20].
Le projet de nomenclature socio-économique européenne ESeC (*)

Le projet de nomenclature socio-économique européenne ESeC (*)
9Les promoteurs d’ESeC font valoir que, contrairement aux nomenclatures nationales, le schéma de classe goldthorpien a été construit pour et par le comparatisme et qu’il serait, de ce fait, adapté aux besoins de la comparaison scientifique et de la conduite des politiques européennes. De plus, les instituts statistiques nationaux peuvent produire ESeC à partir de la nomenclature CITP qui, bien qu’elle fasse l’objet de nombreuses critiques, sert de base au codage des professions dans un très grand nombre de pays européens [21]. Dans les pays de l’Est, depuis l’effondrement des États communistes, elle est même parfois l’unique nomenclature utilisée pour décrire le marché du travail [22]. ESeC peut donc être présentée comme économe puisqu’elle s’appuie sur des outils déjà disponibles et largement diffusés en Europe.
10Ses défenseurs développent trois grands arguments. ESeC présenterait d’abord l’avantage de reposer sur un critère distinctif unique (la relation d’emploi), dépourvu d’équivoque et susceptible d’être testé et invalidé, alors que la nomenclature des PCS relèverait d’une approche « empirique ». Ensuite, ESeC serait facile à diffuser sur la scène internationale : « it could travel », selon une formule de Goldthorpe [23]. Enfin, fondée sur une dimension unique, ESeC serait compatible avec une pratique orthodoxe des modèles de régression, alors que les nomenclatures multidimensionnelles, comme les PCS, sont considérées comme complexes à manier lorsqu’il s’agit d’isoler les effets propres de chaque variable, notamment dans les régressions incluant les niveaux de revenu et d’éducation [24]. C’est également sur cette base que les défenseurs du projet s’opposent aux propositions émanant d’Eurostat [25] puis des représentants de l’INSEE de fonder la nomenclature sur les qualifications (concept trop proche du niveau d’éducation). Goldthorpe considère que son schéma est généralisable parce qu’il repose sur la maxime « one concept, one criterion, one measure » [26].
Les origines britanniques d’une entreprise scientifique internationale
11Si les sociologues britanniques bénéficient de leur longue expérience en matière de classification et disposent des réseaux et des capitaux collectifs qu’ils se sont constitués depuis une trentaine d’années, ESeC n’est pas tout à fait l’instrument dénationalisé qu’ils prétendent.
12Le schéma de classe sur lequel la nomenclature ESeC repose a trouvé sa première formulation lors d’une grande enquête sur la mobilité sociale menée au milieu des années 1970 en Grande-Bretagne [voir encadré « John Goldthorpe, sociologue de la mobilité sociale et entrepreneur de nomenclatures », p. 131]. Cette première nomenclature, appelée « Goldthorpe classes », est construite de manière empirique. Elle regroupe les 35 status groups d’une échelle de prestige que Goldthorpe met au point dans une enquête précédente (« Hope-Goldthorpe Scale ») [27] en sept classes [28]. La nomenclature de classe se distingue néanmoins des échelles de prestige en distinguant entre employeurs ou indépendants et employés, sauf pour la classe 1 – la service class [29]. Elle s’inscrit, à l’époque, dans les luttes entre sociologues de la mobilité sociale, opposant une approche en termes de « statuts » à une analyse en termes de groupes ou de classes sociales [30]. Goldthorpe se démarque en effet des sociologues américains comme Lipset ou Duncan et Blau qui s’appuient sur des échelles de prestige et postulent la continuité des positions sociales. Il s’oppose en même temps à l’hypothèse selon laquelle le développement du capitalisme moderne et l’État-providence auraient eu pour effet une dissolution des classes sociales et son schéma se différencie ainsi à la fois de la nomenclature officielle britannique (qui distingue entre professionals et managers mais pas entre employeurs et salariés) et de la classification de David Glass, pionnier des enquêtes de mobilité sociale après 1945 en Grande-Bretagne (qui n’opérait pas cette distinction) [31]. S’il s’appuie sur la définition de la « service class » forgée par Karl Renner puis Ralf Dahrendorf, le schéma de Goldthorpe est construit de manière tout à fait empirique comme le montre l’usage souple qui en est fait dans les premiers travaux de comparaison avec la France et la Suède [32]. C’est un durcissement ultérieur qui le fera apparaître comme un schéma « théorique » [voir schéma, p. 132].
John Goldthorpe, sociologue de la mobilité sociale et entrepreneur de nomenclatures
Né en 1935, Golthorpe est issu des fractions supérieures des classes populaires : son père est employé et est, comme sa femme, d’origine ouvrière [34] ; le couple est politiquement proche du « radicalisme conservateur ». Après un BA (équivalent d’une licence) en histoire, Goldthorpe se tourne vers la sociologie en plein développement – le premier congrès de la British Sociological Association a lieu en 1953 – qu’il étudie à la LSE. Il se dit marqué par les travaux de Thomas Marshall (Citizenship and Social Class, 1947) et de David Glass (Social mobility in Britain, 1954). La question de la mobilité sociale des ouvriers pose des questions politiques à ces jeunes sociologues proches du Labour Party dans des années 1950 marquées par les défaites électorales des travaillistes et la « moyennisation » supposée des classes populaires.
Les premiers objets de recherche de Goldthorpe sont marqués par un contexte caractérisé à la fois par l’expansion économique, l’aggiornamento programmatique du Labour et l’essor de la sociologie. Recruté comme Lecturer à Cambridge en 1960, il réalise avec David Lockwood une enquête par entretiens (auprès d’environ 200 ouvriers de trois grandes entreprises) qui montre que l’embourgeoisement des ouvriers ne signifie pas leur intégration dans les classes moyennes (Affluent Worker, 1963). Il se distingue ainsi des auteurs qu’il qualifie de « libéraux » et qui prédisent un déclin inéluctable des classes sociales, comme des marxistes qui considèrent que la classe moyenne se prolétarise. Le succès de ses ouvrages lui permet d’être recruté à Oxford à la fin des années 1960 où il réalise la suite de sa carrière. Il devient notamment vice-président du Comittee on Social Stratification and Mobility au sein de l’International Sociological Association (1974-1982).
Le début des années 1970 marque une inflexion majeure dans les méthodes qu’il mobilise. Il investit les méthodes statistiques. En 1972, il co-dirige une grande enquête financée par le Social Science Research Council auprès de 10 000 hommes âgés de 20 à 64 ans qui alimente la conception de la Hope-Goldthorpe Scale en 1974 puis la transition vers les « Goldthorpe classes ». Cette recherche débouche sur la publication de Social Mobility and Class Structure in Modern Britain (1980) qui connaît un succès international et marque ainsi sa consécration scientifique [35].
Cependant, la position de Goldthorpe est paradoxale : bien que présent dans les institutions académiques les plus centrales, il se trouve en porte-à-faux vis-à-vis des évolutions du champ académique britannique, marquées par le tournant des cultural studies, très critique sur les approches qu’il incarne, puis par le développement des sociologies de l’action et du rôle de l’individu dans la construction de la réalité sociale. Goldthorpe n’en maintient pas moins une épistémologie positiviste qui place les statistiques et les modélisations au cœur de la démarche sociologique [36], mais il investit désormais en priorité la scène internationale.
SCHÉMA DE CLASSE dans John H. Goldthorpe et Catriona Llewellyn, “Class mobility: intergenerational and worklife patterns”, British Journal of Sociology, 28(3), 1977, p. 269-302.

SCHÉMA DE CLASSE dans John H. Goldthorpe et Catriona Llewellyn, “Class mobility: intergenerational and worklife patterns”, British Journal of Sociology, 28(3), 1977, p. 269-302.
13Les années 1984-1992 marquent une nouvelle étape. Ce qui n’était qu’un outil pour analyser la mobilité sociale en Grande-Bretagne puis un outil peu codifié de comparaison entre quelques pays se diffuse et tend à s’institutionnaliser. Un vaste projet de comparaison internationale entre douze pays, Comparative Analysis of Social Mobility in Industrial Nations (CASMIN), est lancé en 1984 avec le sociologue allemand spécialiste de mobilité sociale et de l’éducation, Walter Müller. Il débouche en 1992 sur l’ouvrage (avec Erikson), The Constant Flux: a Study of Class Mobility in Industrial Societies.
14La diffusion et l’institutionnalisation du schéma sont fonction de la densité et de la solidité du réseau à l’échelle internationale. La plupart des chercheurs du Consortium se côtoient depuis les années 1970 au sein du Comittee on Social Stratification and Mobility de l’ISA [37], mais les collaborations s’institutionnalisent autour d’autres supports dans les années 1980. Goldthorpe et Karl Ulrich Mayer fondent en 1984 European Sociological Review qui publie des travaux de comparaison et constitue l’une des premières revues européennes de sociologie. Le réseau se dote aussi d’une fondation – European Consortium for Sociological Research (1991) – qui sert de structure de promotion de la sociologie auprès de l’UE, permet de diffuser méthodes et outils, mais aussi d’obtenir des financements européens, comme ceux du PCRD (de la Commission européenne) sur les inégalités sociales et la mobilité sociale. Ce courant fait figure d’avant-garde dans un contexte de construction lente d’un espace scientifique européen [38]. L’homogénéité de ce groupe de chercheurs tient moins à un consensus scientifique sur la pertinence du schéma de Goldthorpe pour cerner les structures sociales européennes [39], qu’à la participation aux mêmes instances (Comittee on Social Stratification and Mobility, etc.) et institutions (par exemple la proximité avec la DG Recherche) internationales et européennes et à la spécialisation dans les travaux comparatifs de mobilité sociale, la nomenclature EGP en étant le support principal.
15La position du réseau se trouve confortée par l’adoption en Grande-Bretagne en 2001 d’une nouvelle nomenclature fortement inspirée par EGP. Goldthorpe et les sociologues qui l’entourent ont alimenté les controverses sur les nomenclatures « officielles » à la fin des années 1980-début des années 1990 et se sont posés en porteurs d’une alternative. À ce stade de l’enquête, nous ne pouvons avancer que des hypothèses pour expliquer le rapprochement, par l’entremise du Economic and Social Research Council, de sociologues et de statisticiens de l’ONS, qui débouche sur l’adoption de la nomenclature révisée [40]. Le contexte des années 1980, avec les débats sur les transformations des classes sociales [41] et, du même coup, les classifications, a certainement joué [42]. La « service class » se développe et le modèle corporatiste de certification des qualifications est mis en cause avec l’affaiblissement des syndicats. Les statisticiens de l’ONS sous-traitent la « révision » des nomenclatures officielles à un comité de l’Economic and Social Research Council composé, pour une bonne part, de sociologues [43] proches de Goldthorpe (et de Goldthorpe lui-même). Le schéma goldthorpien s’impose, en raison des nombreux travaux empiriques qu’il a suscités, mais aussi de l’indifférence de nombre d’économistes et de sociologues qui considèrent que l’on peut se passer de ce type d’outil.
16ESeC ne peut être séparée de ses origines britanniques mais la force de la classification goldthorpienne à l’échelle européenne résulte sans doute moins de sa capacité à synthétiser des structures sociales nationales que de la routinisation de son transfert dans des univers nationaux différenciés. Le succès d’ESeC au sein du Consortium tient ainsi moins à son pouvoir de description d’un espace social européen qu’à sa pertinence comme outil de comparaison sur des questions comme la santé ou l’éducation ; les similitudes et les différences entre structures socio-économiques des pays européens ou encore le repérage de groupes sociaux (Quels seraient les contours d’une classe ouvrière européenne ? d’une classe de managers ou de cadres ?, etc.) sont très rarement discutées. Ces sociologues se revendiquent d’ailleurs d’une approche « nominale » et non pas « réaliste » [44]. La dénomination des groupes composant ESeC montre qu’il ne s’agit pas de décrire ou de mettre en catégories des groupes réels : les termes utilisés (lower/higher ; service class ; routine occupations) n’appartiennent pas au langage courant (pas même en Grande-Bretagne) et ces sociologues ont de grandes difficultés à « traduire », quand cela leur est demandé, ces libellés pour le « grand public ». La nomenclature ne se construit pas en référence à ce que pourrait être des « classes sociales » européennes. En fait, la conception goldthorpienne de la class analysis vide le concept de classe de sa dimension historique, de toute théorie de l’exploitation et d’antagonisme entre groupes sociaux, et ainsi de toute référence à la classe comme classe d’action et/ou vecteur d’identification [45].
La remise en cause d’ESeC
17Malgré le savoir-faire et les ressources de ce réseau de sociologues, ESeC n’est pas officialisée après la remise du rapport en 2006. La fragilisation du prototype résulte en partie des clivages à l’intérieur du Consortium qui s’est réuni quatre fois en « meeting » entre 2004 et 2006. Il se compose principalement d’universitaires, mais comprend aussi des statisticiens de l’ONS britannique (très en retrait) et de l’INSEE. Si, au total, 90 personnes ont participé à au moins l’une des réunions, le noyau dur ne compte guère que 20 personnes. Parmi les principaux protagonistes, on peut citer les sociologues de la stratification sociale que sont David Rose (Essex) – qui a participé à la révision de la nomenclature britannique entre 1993 et 2001 –, Peter Elias, économiste du travail et spécialiste du développement des nomenclatures statistiques (Warwick), le sociologue de la mobilité sociale Christopher Whelan (ESRI Ireland), Walter Müller (Mannheim), Antonio Schizzerotto (Milan) – qui a participé à la création de l’European Social Survey au début des années 1990 –, Robert Erikson (Stockholm), Anton Kunst (Erasmus MC, Pays-Bas) – qui a la caractéristique d’être sensiblement plus jeune que les autres (il a soutenu son PhD en 1997) –, les administrateurs de l’INSEE que sont Dominique Goux, Pierre Biscourp et Cécile Brousse. Rose et Elias sont les chevilles ouvrières du projet, mais Erikson et Walter Müller sont les figures tutélaires, le premier par sa proximité avec Goldthorpe et ses positions sur la scène européenne, le second du fait qu’il dirige le Mannheim Centre for European Social Research et a joué un rôle important dans la conception d’outils statistiques en Allemagne et sur la scène internationale (révisions de la nomenclature d’éducation ISCED).
18À l’exception des statisticiens-économistes de l’INSEE, ces experts sont principalement des sociologues quantitativistes venant de pays d’Europe de l’Ouest [46]. Ce sont pour la plupart plutôt des chercheurs en fin de carrière qui fréquentent les mêmes réseaux depuis les années 1980 et qui, pour beaucoup, ont été experts auprès de la DG Recherche et ont joué un rôle de premier plan auprès de leurs instituts nationaux de statistique respectifs.
19La représentation française présente d’importantes spécificités, sans doute dues au monopole de l’INSEE sur les nomenclatures socio-économiques et au moindre développement de la sociologie quantitative en France. Elle repose essentiellement sur des administrateurs de l’INSEE (épisodiquement épaulés par des sociologues du CNRS, comme Laurence Coutrot et Annick Kieffer). Entre 2003 et 2005, c’est Dominique Goux (X-ENSAE)qui participe au débat en tant que chef de la division emploi. Économètre et spécialiste des questions de formation et de marché du travail, elle connaît bien les PCS même s’ils font partie du pôle le plus critique sur cette nomenclature à l’INSEE [47]. En 2005, elle est remplacée par Cécile Brousse, qui est responsable de la section en charge les PCS à partir de 2005 et qui incarne un profil plus proche du pôle sociologique de l’INSEE et, notamment, d’Alain Desrosières ; elle cherche à enrôler des jeunes sociologues de l’INSEE ou du monde académique dans la réflexion (dont un des auteurs de cet note) mais, relativement jeunes dans leurs espaces respectifs, ils sont de fait moins reconnus que les sociologues du Consortium et ne disposent pas d’une alternative « prête à l’emploi » et armée par des décennies de validation empirique et de centaines de publications scientifiques que les « goldthorpiens » peuvent mobiliser.
20Le rapport de force interne au Consortium est globalement favorable aux sociologues proches de Goldthorpe, dominants sous le rapport du capital scientifique et institutionnel et solidaires dans la défense de l’outil qu’ils partagent depuis de nombreuses années. Mais ce réseau peine à enrôler les acteurs des politiques européennes du fait de sa relative homogénéité. Il ne comprend guère que des sociologues, il intègre peu les représentants des INS, il n’enrôle pas de représentants des syndicats, de groupes d’intérêt ou patronaux. Cette organisation est relativement efficace pour maintenir et imposer le modèle « orthodoxe », mais confine le processus de fabrication d’EseC entre spécialistes qui disposent en outre que d’un accès limité aux sphères bureaucratiques de la Commission. Si Goldthorpe ou Müller ont beaucoup publié sur l’incidence des classes sociales sur les choix et résultats éducatifs et si Kunst plaide au sein du Consortium pour une plus forte connexion avec la santé publique, le Consortium n’arrive pas à mobiliser d’autres DG potentiellement concernées (Santé, Emploi, Culture ou Éducation)
21Dans le Consortium, les statisticiens français ne disposent pas d’un capital comparable à celui du réseau de Goldthorpe mais sont aussi handicapés par le statut de la nomenclature des PCS dans leur institut : l’outil est alors entré dans une phase de déclin [48] – les jeunes économètres préférant utiliser les variables de diplôme ou de revenu – et la direction de l’INSEE ne fait pas de la rénovation des PCS une priorité. L’investissement dans le projet ESeC se fait ainsi sur un mode défensif, la disparition des PCS à terme étant tout de même un risque pour l’institution [49]. Sous l’égide de Dominique Goux, ils défendent que la position socio-économique ne peut être réduite à la relation d’emploi et font valoir que les PCS mesurent, in fine, mieux la relation d’emploi qu’ESeC. Mais ces critiques portent peu : le faible investissement des universitaires et chercheurs français isolent l’équipe de l’INSEE de même que leur refus d’utiliser la Classification internationale type des professions (CITP) comme brique de base pour coder ESeC. Du fait du caractère « national » des PCS inlassablement rappelé par les sociologues goldthorpiens, ils renoncent à les proposer comme une alternative.
22Avec l’arrivée de Cécile Brousse en 2005, la discussion se déplace vers des questions d’opérationnalisation (pertinence des variables utilisées et notamment de la variable de la supervision, codage et reconnaissance par le grand public des libellés, etc.). Au débat sur le modèle théorique succède une démarche plus « technicienne », les statisticiens étant mieux armés pour discuter de la construction concrète des catégories ESeC. Les administrateurs de l’INSEE s’appuient en outre sur leurs propres relais à Eurostat et obtiennent ainsi en 2006 que ce dernier finance de nouveaux travaux de validation où les statisticiens des INS sont majoritaires. De même, devant la difficulté à discuter de la pertinence du schéma EGP, Cécile Brousse s’investit à partir de 2006 sur des thèmes où les statisticiens de l’INSEE disposent d’un avantage comparatif, par exemple la réforme de la CITP en 2008. La mobilisation de l’équipe française aboutit ainsi à une meilleure prise en compte des qualifications dans le codage des professions dans la CITP [50], permettant ainsi de réintégrer indirectement la qualification dans la nomenclature européenne.
23Le changement de stratégie des représentants de l’INSEE, comme la posture défensive de l’institution sont révélateurs de clivages internes. En effet, certains responsables de l’INSEE plus tournés vers l’économétrie, comme Stefan Lollivier (directeur de la DSDS dans les années 2000) défendent assez peu eux-mêmes les PCS. Les sociologues du CREST qui travaillent sur la mobilité sociale et participent à des projets PCRD comme EqualSoc piloté par des sociologues proches de Goldthorpe (par exemple Louis André-Vallet), reconnaissent l’intérêt du schéma goldthorpien comme outil de comparaison et sont favorables à son adoption, tout en prenant des distances avec la prétention théorique du prototype. D’autres sociologues du CREST (Michel Gollac, Laurent Thévenot), de même qu’une autre partie des sociologues de la DSDS (Cécile Brousse, Loup Wolff) affichent des positions plus déterminées dans leur opposition au modèle sous-jacent à ESeC. Partisans d’une approche constructiviste des outils statistiques, souhaitant que son cadre d’élaboration soit plus démocratique [51], ils critiquent vigoureusement le concept de relation d’emploi, et l’absence de niveaux détaillés de la nomenclature. Les « flottements » et changements de stratégie de l’INSEE dans le cadre du projet ESeC reflètent des oppositions internes entre sociologues et économistes et entre approche réaliste et nominaliste des conventions statistiques.
24Les controverses sur ESeC révèlent donc des oppositions entre des logiques professionnelles, des intérêts institutionnels et des traditions scientifiques et statistiques. Elles font ressortir le caractère nationalement situé du projet, refoulé jusqu’alors par les sociologues du Consortium grâce au travail de formalisation théorique. Cette « renationalisation » s’opère par exemple dans une note de l’INSEE : « les auteurs [du Consortium] font une proposition intuitive, probablement convenable pour un marché du travail anglo-saxon, mais qui ne va pas de soi pour d’autres pays ». Les représentants de l’INSEE déplorent à de nombreuses reprises l’absence d’un niveau détaillé d’ESeC qui interdit la prise en compte de la distinction « privé/public » structurante en France, comme dans d’autres pays. Mais la critique est aussi exprimée de l’extérieur du Consortium. Par exemple le sociologue grec Thomas Maloutas conteste l’universalité du modèle de la grande entreprise sous-jacent à ESeC qui établit des distinctions fines entre les fractions supérieures (classes 1 et 2) et intermédiaires du salariat (classes 3 et 6). Le contraste est particulièrement visible lorsqu’il s’agit de décrire les structures sociales des pays de l’Est et du Sud. En Grèce, Maloutas montre ainsi que la catégorie des supervisors est très peu importante tandis que celles des indépendants et des agriculteurs sont considérables [52]. De même, ESeC reste peu discriminante dans des pays où les entreprises sont de petite taille : dans certains États de l’Est, 50 % de la population se trouve concentrée dans les catégories 7 à 9.
25Mais ce sont moins ces critiques que les questions de robustesse des variables et de coûts qui ont amené Eurostat à douter du prototype ESeC. La notion de supervision est centrale ici parce qu’elle sert à identifier un groupe de supervisors (la classe 6). La classe 6 regroupe en principe les ouvriers et les employés qui encadrent plus de trois salariés. Le recours à cette catégorisation pensée dans le cadre britannique ne trouve que peu de correspondance dans le cas français et allemand qui font prévaloir la qualification (par exemple les Facharbeiter) sur le niveau d’encadrement [53]. De même, l’étude conduite par Loup Wolff (statisticien-économiste de l’INSEE), montre qu’en fonction de la formulation de la question – responsabilité d’encadrer au moins trois personnes (ESeC), tâche principale du salarié (BIT) ou mandat formel octroyé à un salarié (Eurostat) – le nombre de supervisors est respectivement de 30 %, 7,2 % et 19,4 % des actifs français [54]. La controverse a donc fait ressortir un problème de stabilité et d’homogénéité de cette variable. Dans l’enceinte d’Eurostat, notamment au niveau des réunions entre directeurs des statistiques sociales des INS, cet aspect s’avère essentiel : dans un contexte de restrictions budgétaires et de tensions sur les enquêtes ménages européennes, notamment le Labor Force Survey qui servent, entre autres, à calculer les taux de chômage, l’ajout d’une ou plusieurs variables est coûteuse et risquée pour la qualité de ces enquêtes. En 2009, les directeurs des statistiques sociales des INS, décident de demander à Eurostat d’envisager la fabrication d’une nomenclature construite uniquement à partir des variables qui sont déjà dans le tronc commun (core variables) des enquêtes ménages européennes.
26Une relative indétermination pèse sur l’avenir du projet. D’un côté, les concepteurs d’ESeC sont parvenus à introduire les questions permettant de construire cette nomenclature dans l’European Social Survey (financée notamment par la DG Recherche et dont certains membres du Consortium faisaient partie du comité scientifique). De l’autre côté, Eurostat et les INS n’ont pas tranché et le travail de sape mené par l’INSEE a conduit à ce qu’Eurostat leur confie un « pôle européen ». Ce pôle européen qui n’a pas encore commencé ses travaux au moment de la rédaction de cet article, sera chargé de reprendre les travaux sur la nomenclature, de l’articuler avec la CITP 2008 et de proposer une version déclinable dans les core variables des enquêtes ménages européennes.
27Si les termes du débat se sont souvent focalisés sur des aspects « techniques », ils s’ancrent dans une série d’oppositions portant tant sur les divergences des légitimités et savoir-faire professionnels que sur les oppositions entre deux traditions nationales fortes en matière de nomenclature. Le schéma envisagé jusqu’à la fin des années 2000 pose finalement assez peu la question des classes sociales ou des groupes sociaux comme entités réelles à repérer et à observer. L’approche « théorique » d’un modèle censé être universel, ne s’intéresse que très peu aux conditions de formation et de description des classes sociales à l’échelle européenne. En face, les statisticiens de l’INSEE, faute d’une impulsion interne et d’un projet alternatif à promouvoir, restent dans une posture défensive. Le débat sur ce projet demeure alors captif des nomenclatures existantes comme la CITP ou EGP et des logiques de confinement du débat lié aux modes de fonctionnement de l’UE. Cette difficulté à imposer une nomenclature socioprofessionnelle renvoie à l’absence de relais forts sur la scène européenne.
28La direction d’Eurostat, constamment sollicitée par la Commission pour développer des indicateurs de benchmarking et dépendante des INS (eux-mêmes sous contraintes budgétaires) pour la réalisation des enquêtes n’a pas fait de ce projet une priorité. Un seul statisticien d’Eurostat est en charge du suivi du dossier et sa direction n’a pas cherché à trancher sur l’officialisation d’ESeC en 2006. De ce fait, la défense du projet à Eurostat a vraisemblablement reposé sur quelques personnalités comme Michel Glaude, ancien inspecteur général de l’INSEE et responsable des statistiques sociales à Eurostat sur la période. Le faible investissement d’Eurostat est à mettre en lien avec l’absence d’une demande politique forte. La DG Emploi a d’autres priorités et n’est pas présente dans le projet et les représentants des INS à Eurostat ne se montrent guère plus enthousiastes. Les universitaires du réseau « goldthorpien » ont un sens du jeu structuré par les enjeux académiques propres de la sociologie de la mobilité sociale. Ils entretiennent un rapport instrumental à l’UE et ne cherchent pas prioritairement, contrairement à l’économiste Tony Atkinson sur l’exclusion, à promouvoir une politique européenne outillée et légitimée par la science [55]. Si la formation en économie d’un nombre important de hauts fonctionnaires de la Commission et de la DG Emploi [56] les rend réceptifs à la puissance du chiffre, leur vision du monde social est structurellement a-sociologique dans le sens où ils raisonnent soit en termes d’agrégats de population définis par un territoire (nation ou région), soit en termes d’individus décontextualisés, dotés d’une rationalité (économique) universelle qui répondent aux incitations et sanctions produites par l’action publique. Dans ce cadre, les outils de description du monde social telles que les nomenclatures socioprofessionnelles ne sont pas perçus comme pertinents pour exploiter l’information statistique des enquêtes européennes.
29Les parallèles que l’on peut établir entre l’émergence et la structuration d’un centre politique européen aujourd’hui et la construction des États-nations trouvent ici leurs limites. La construction de la commensurabilité s’opère, à l’échelle européenne, dans un contexte où des acteurs nationaux disposent des moyens pour résister. La concurrence se joue sur la capacité d’hybridation ou de dénationalisation des catégories et vocables en l’absence d’une « banque centrale symbolique » [57] capable d’imposer une vision dominante. Les débats et luttes sociales présentes au XXe siècle au moment de l’institutionnalisation des nomenclatures en France ou au Royaume-Uni n’existent pas sous des formes analogues à l’échelle européenne [58]. L’inscription de catégories d’objectivation du monde social dans les outils statistiques s’était appuyée sur des acteurs mobilisés et sur des représentations sociales et enjeux politiques plus larges. Ces supports « extérieurs » aux catégories statistiques et aux interactions bureaucratiques et scientifiques ne connaissent pas d’équivalents européens.
Notes
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[1]
Sur l’importance, au-delà même des publications statistiques, de ce type d’outils, voir Alain Desrosières et Laurent Thévenot, Les Catégories socioprofessionnelles, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 1988 ; Simon Szreter, Fertility, Class and Gender in Britain, 1860-1940, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.En ligne
-
[2]
Cette recherche s’inscrit dans le cadre de l’ANR Euréqua, dirigée par Martine Mespoulet. L’enquête s’appuie sur une analyse de la littérature « grise » des instances européennes, des archives d’un des membres français du Consortium financé par l’UE (2003-2006) et la reconstruction des trajectoires des protagonistes. Elle est actuellement complétée par une campagne d’entretiens pour reconstituer l’ensemble des points de vue.
-
[3]
La remise en cause récente du projet se reflète dans le changement de nom : ESeC est devenu ESeG (European Socio-economic Groups). Pour une présentation d’ESeC, Cécile Brousse, « ESeC, projet européen de classification socio-économique », Courrier des statistiques, 125, 2008, p. 27-36. Voir aussi David Rose et Eric Harrison (dir.), Social Class in Europe: an Introduction to the European Socio-economic Classification, Londres, Routledge, 2010.
-
[4]
Robert Salais, « La politique des indicateurs. Du taux de chômage au taux d’emploi dans la stratégie européenne pour l’emploi », in Bénédicte Zimmermann (dir.), Les Sciences sociales à l’épreuve de l’action. Le savant, le politique et l’Europe, Paris, MSH, 2004, p. 287-331.
-
[5]
Isabelle Bruno, « La déroute du “benchmarking social”. La coordination des luttes nationales contre l’exclusion et la pauvreté en Europe », Revue française de socio-économie, 5, 2010, p. 41-61.
-
[6]
François Elissalt, « La statistique communautaire au tournant du XXIe siècle. Nouveaux enjeux, nouvelles contraintes », Courrier des statistiques, 100, 2001, p. 41-51 ; Delphine Nivière, « Négocier une statistique européenne : le cas de la pauvreté », Genèses, 58, 2005, p. 28-47. En ligne
-
[7]
Cécile Brousse, « Définir et compter les sans-abri en Europe : enjeux et controverses », Genèses, 58, 2005, p. 48-71. En ligne
-
[8]
Isabelle Bruno, À vos marques®, prêts… cherchez. La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Éd. du Croquant, 2008.
-
[9]
Pieter Everaers, “A framework for harmonisation: key social indicators, core variables and a framework for the joint use of administrative sources, register and survey data”, Luxembourg, Eurostat, 1998 ; Annick Kieffer, « Catégorisation statistique et harmonisation européenne : l’exemple des catégories socioprofessionnelles », Tunis, IRMC, Correspondances, 64-62, 2001, p. 8-17.
-
[10]
Bernard Grais, « Les nomenclatures socio-économiques (CSE) utilisées dans la statistique officielle des États-membres de l’Union européenne », rapport à Eurostat, avril 1999, p. 1.
-
[11]
Bruno Duriez, Jacques Ion, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, « Institutions statistiques et nomenclatures socio-professionnelles. Essai comparatif : Royaume-Uni, Espagne, France », Revue française de sociologie, 32(1), 1991, p. 29-59.En ligne
-
[12]
Sur ces deux options, Hedda Faucheux et Guy Neyret, Évaluation de la pertinence des catégories socioprofessionnelles, rapport INSEE, DG, 1999 et « Extraits du rapport “Évaluation de la pertinence des catégories socioprofessionnelles” », Sociétés contemporaines, 45-46, 2002, p. 131-155.
-
[13]
La CITP est une nomenclature de professions créée par le BIT en 1957, et non pas de groupes socioprofessionnels. Les professions sont regroupées en fonction des « tâches accomplies ». Cécile Brousse, « L’édition 2008 de la classification internationale type des professions », Courrier des statistiques, 125, 2008, p. 17-21.
-
[14]
Des nomenclatures similaires ont été adoptées officiellement en Suède, en Irlande et au Pays-Bas.
-
[15]
David Rose, David Pevalin, Peter Elias et Jean Martin, Towards a European Socio-economic Classification: Final Report to Eurostat of the Expert Group, Londres/Colchester, ONS/ISER, University of Essex, 2001, p. 18 et p. 23-25.
-
[16]
Eric Harrison et David Rose, The European Socio-economic Classification (ESeC), Draft User Guide, Colchester, Institute for Social and Economic Research, University of Essex, 2006, p. 1-19.
-
[17]
Robert Erikson, John H. Goldthorpe et Lucienne Portocarero, “Intergenerational class mobility in three Western European societies: England, France and Sweden”, British Journal of Sociology, 30(4), 1979, p. 415-441.En ligne
-
[18]
Robert Erikson et John H. Goldthorpe, The Constant Flux. A Study of Class Mobility in Industrial Societies, Oxford, Clarendon Press, 1992.
-
[19]
Cet indicateur – rémunération à la pièce ou à l’heure – fait ressortir la « nationalité » de la nomenclature. En effet, si cette forme de rémunération continue d’exister en Grande-Bretagne, elle a pratiquement disparu ailleurs en Europe de l’Ouest.
-
[20]
Laurence Coutrot, “Drafting a European socio-economic scheme”, The Tocqueville Review, 29(1), 2008, p. 109-137. Sur la reformulation du schéma pour le rendre compatible avec la théorie de l’agent principal, John H. Goldthorpe, On Sociology. Numbers, Narratives, and the Integration of Research and Theory, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 206-229.
-
[21]
B. Grais, « Les nomenclatures socio-économiques… », op. cit., p. 13-14.
-
[22]
Marie Plessz, « Les ouvriers en Europe centrale : la dissolution d’une catégorie sociale dans les statistiques », Sociologie du travail, 52(3), 2010, p. 340-358.
-
[23]
John Goldthorpe, “On official social classifications in France and in Britain”, Sociétés contemporaines, 45-46, 2002, p. 187-189. En ligne
-
[24]
Ibid.
-
[25]
P. Everaers, “A framework for harmonisation…”, op. cit.
-
[26]
J. Goldthorpe, “On official social classifications…”, art. cit., p. 189.
-
[27]
John H. Goldthorpe et Keith Hope, The Social Grading of Occupations: A New Approach and Scale, Oxford, Clarendon Press, 1974.
-
[28]
John H. Goldthorpe, Catriona Llewellyn et Clive Payne, Social Mobility and Class Structure in Modern Britain, Oxford, Clarendon Press, 1980, p. 39-42.
-
[29]
Sur la représentation de l’élite dans les nomenclatures britanniques, Bruno Duriez et Jacques Ion, « La représentation sociale de l’élite dans les classifications socioprofessionnelles britanniques », Politix, 25(7), 1994, p. 104-116.En ligne
-
[30]
Dominique Merllié, Les Enquêtes de mobilité sociale, Paris, PUF, coll. « Le sociologue », 1994, p. 192-194.
-
[31]
Ibid., p. 185-190.
-
[32]
E. Erikson, J. H. Goldthorpe et L. Portocarero, “Intergenerational class mobility…”, art. cit.
-
[33]
D. Merllié, Les Enquêtes de mobilité sociale, op. cit., p. 154-155.
-
[34]
Johan Heilbron et Yves Gingras, « L’internationalisation de la recherche en sciences sociales et humaines en Europe (1980-2006) », in Gisèle Sapiro (dir.), L’Espace intellectuel en Europe. De la formation des États-nations à la mondialisation, XIXe-XXIe siècles, Paris, La Découverte, 2009, p. 359-388.
-
[35]
Il sera nécessaire dans la suite de l’enquête de préciser les nuances de positionnement des sociologues du Consortium vis-à-vis d’ESeC. On peut d’ores et déjà indiquer que tous n’accordent pas la même valeur à ce schéma : par exemple, l’équipe allemande se montre critique quant à l’usage du critère de supervision (voir infra). Dans un autre genre, Michael Tåhlin, proche d’Erikson mais pas membre du Consortium, considère que si ESeC est une nomenclature pertinente pour la comparaison internationale, en revanche, il critique sa formalisation théorique et montre qu’elle mesure non pas la « relation d’emploi » mais plutôt le niveau d’éducation ou de qualification. Michael Tåhlin, “Class clues”, European Sociological Review, 23(5), 2007, p. 557-572.
-
[36]
Sur l’articulation entre projet intellectuel et ancrages institutionnels, Michael Pollak, « Paul F. Lazarsfeld, fondateur d’une multinationale scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, 25, janvier 1979, p. 45-59.En ligne
-
[37]
John Goldthorpe, “A response”, in Jon Clark, Celia Modgil et Sohan Modgil (dir.), John H. Goldthorpe. Consensus and Controversy, Bristol, The Falmers Press, 1990, p. 399-438.
-
[38]
Il rejoint en 1984 dans la British Academy un groupe fermé de sociologues comme Ralf Dahrendorf, Ernest Gellner, David Lockwood et Walter G. Runciman.
-
[39]
J. H. Goldthorpe, On Sociology…, op. cit.
-
[40]
David Rose et Karen O’Reilly (dir.), Constructing Classes: Towards a New Social Classification for the UK, Swindon, ONS/ESRC, 1997.
-
[41]
Catherine Bidou-Zachariasen, « À propos de la “service class” : les classes moyennes dans la sociologie britannique », Revue française de sociologie, 41(4), 2000, p. 777-796.En ligne
-
[42]
B. Duriez et al., « Institutions statistiques et nomenclatures socio-professionnelles… », art. cit.
-
[43]
Ici la configuration des rapports entre l’INS et les institutions nationales de recherches est bien différente de celle qui existe en France entre l’INSEE et le CNRS par exemple. Dans le cas britannique, l’ESRC a des ressources en matière statistiques très importantes et peut imposer ou obtenir de l’ONS des modifications substantielles des outils statistiques, l’ONS sous-traitant d’ailleurs une grande partie des travaux de recherche et d’exploitation des données statistiques.
-
[44]
D. Rose, D. Pevalin, P. Elias et J. Martin, Towards a European Socio-economic Classification…, op. cit., p. 27-28 et p. 88.
-
[45]
John H. Goldthorpe et Gordon Marshall, “The promising future of class analysis: a response to recent critiques”, Sociology, 26(3), 1992, p. 381-400.En ligne
-
[46]
Seul Schizerrotto est d’un pays du Sud ou de l’Est de l’Europe, ce qui s’explique par la faible tradition en matière de nomenclature socioprofessionnelle dans ces pays. Voir M. Plessz, « Les ouvriers en Europe centrale… », art. cit.
-
[47]
Emmanuel Pierru et Alexis Spire, « Le crépuscule des catégories socioprofessionnelles », Revue française de science politique, 58(3), 2008, p. 457-481.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
H. Faucheux et G. Neyret, Évaluation de la pertinence…, op. cit., p. 137-138.
-
[50]
C. Brousse, « L’édition 2008… », art. cit.
-
[51]
Voir par exemple, les interventions de Michel Gollac et de Laurent Thévenot lors de la conférence du CNIS du 14 septembre 2009.
-
[52]
Thomas Maloutas, “Socio-economic classification models and contextual difference. A look at the European socio-economic classes (ESeC) from a South European angle”, Discussion Paper Series, 13(13), université de Thessalie, 2007, p. 311-332.
-
[53]
Walter Müller, Heike Wirth, Gerrit Bauer, Reinhard Pollak et Felix Weiss, „ESeC – Kurzbericht zur Validierung und Operationalisierung einer europäischen sozioökonomischen Klassifikation“, ZUMA-Nachrichten, 59, 2006, p. 111-119.
-
[54]
Loup Wolff, « Les “dirigeants” (“managers”) et les chefs d’équipe (“supervisors”) : des catégories à harmoniser au plan européen ? Pertinence de la supervision comme critère classant », Rencontres du CNIS sur les nomenclatures socioprofessionnelles internationales, 14 septembre 2009.
-
[55]
Tony Atkinson, Bea Cantillon, Eric Marlier et Brian Nolan (dir.), Social Indicators. The EU and Social Inclusion, Oxford, Oxford University Press, 2002.En ligne
-
[56]
Didier Georgakakis et Marine de Lassalle, « Genèse et structure d’un capital institutionnel européen. Les très hauts fonctionnaires de la Commission européenne », Actes de la recherche en sciences sociales, 166-167, mars 2007, p. 38-53.
-
[57]
Pierre Bourdieu, La Noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun », 1989.
-
[58]
S. Szreter, Fertility, Class and Gender…, op. cit. ; A. Desrosières et L. Thévenot, Les Catégories socioprofessionnelles, op. cit.