CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Le budget constitue le squelette de l’État dépouillé de toute idéologie enjolivante »
Rudolf Goldscheid (1926) [1]

1L’accélération du processus de mondialisation et de financiarisation du capitalisme, à laquelle on assiste depuis deux à trois décennies, entretient des rapports aussi variés que complexes avec l’évolution aussi bien des formes que des fonctions de l’État. Il n’est donc pas possible de faire le tour de ses multiples conséquences dans le cadre d’un article, même sous la forme d’un survol. C’est pourquoi ce travail laissera de côté maints aspects, par exemple le rôle joué dans ce processus par la déréglementation étatique de la circulation des marchandises, des services et des capitaux ou par la privatisation des entreprises et des services publics, et se centrera sur le domaine des finances publiques. Plus précisément, on partira d’un constat apparemment simple : depuis la fin des années 1970, grosso modo, tous les États subissent une crise financière assez profonde, qui ne semble pas devoir se résorber dans un avenir proche. Or, ce phénomène coïncide avec le mouvement de mondialisation financière rapide qui se poursuit depuis un quart de siècle environ. Dès lors, il paraît intéressant de commencer l’analyse par la question suivante : quelles sont les origines de cette crise financière et quels liens est-il possible d’établir entre les deux phénomènes ?

2Avant d’esquisser une réponse, il faut encore relever deux points. Premièrement, afin de comparer ce qui est comparable, la recherche ne prendra en compte que les pays du « centre », c’est-à-dire les pays économiquement les plus développés [2]. Deuxièmement, l’approche mise en œuvre dans cet article se fonde sur la sociologie financière, un courant de pensée très marginal au sein des disciplines qui traitent des finances publiques (voir encadré, p. 60).

Crise des finances publiques et Public Choice Theory

3Du point de vue des finances publiques, la période qui va de la fin de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui se divise clairement en deux phases. Durant la première, qui s’étend approximativement jusqu’au milieu des années 1970 et sur laquelle pèse pendant longtemps la très lourde dette léguée par le conflit mondial, les États industrialisés connaissent certes des déséquilibres, fréquents (de l’ordre de six à sept années sur dix), mais limités, très rarement supérieurs à 1 % du produit intérieur brut (PIB). En revanche, depuis la seconde moitié des années 1970 jusqu’à la fin des années 1990, les déficits prennent non seulement un caractère permanent mais une ampleur considérable : si l’on cumule les soldes des comptes des États membres de l’OCDE entre 1975 et 1999, chaque année, sans exception, débouche sur un résultat total déficitaire. Et durant ces 25 ans, le déficit cumulé atteint ou dépasse 3 % du PIB environ deux années sur trois [3].

4Le changement entre les deux phases apparaît tout aussi nettement lorsque l’on examine l’évolution de l’endettement. De 1950 à 1970, le poids de la dette des États membres de l’OCDE diminue considérablement : le rapport entre l’endettement public cumulé de ces pays d’un côté, et leur revenu national de l’autre, décroît au rythme rapide d’environ 3,6 % par an en moyenne. Au cours des années 1970, la tendance s’inverse. Le poids de la dette reprend un mouvement ascendant, mais encore lent puisque la progression se limite à 0,8 % environ par an de 1970 à 1980. En revanche, à partir de cette dernière date, l’endettement s’alourdit tout aussi rapidement qu’il s’était allégé durant l’après-guerre : entre 1980 et 1998, le ratio dette/PIB au sein de l’OCDE augmente d’environ 3,5 % par an, en moyenne [4].

5Dans les pays économiquement développés, la seconde moitié des années 1970 marque donc bien l’entrée dans une longue phase caractérisée par un déséquilibre chronique et profond entre recettes et dépenses qui provoque une détérioration rapide, parfois explosive, de l’endettement des pouvoirs publics. Bref, elle ouvre une période de crise financière prononcée de l’État.

6Quelles sont les origines de cette crise ? À ce propos, la réponse la plus commune, inlassablement répétée dans les médias, a le mérite de la simplicité : la cause des déficits budgétaires, est-il affirmé en juillet 2002 dans un grand quotidien américain, réside dans le fait que « les politiciens à Washington ne veulent pas couper les dépenses parce qu’ils utilisent le budget pour acheter des votes [5] ». « Dans les systèmes parlementaires – explique, en juin 1999, le prestigieux hebdomadaire de la City, The Economist –, les majorités électorales stables doivent être alimentées, ce qui encourage la distribution de subsides tous azimuts [6]. » Quant au plus influent quotidien suisse, il allègue, en janvier 1995, que « les politiciens […] veulent en général être réélus et cherchent donc à procurer à leur clientèle le volume le plus élevé possible de prestations étatiques [7] ».

7À vrai dire, ce schéma ne fait que reprendre, sous une forme à peine vulgarisée, le modèle explicatif avancé par l’école des choix publics (Public Choice). De façon parallèle et complémentaire à l’école monétariste, le Public Choice s’est puissamment renforcé au cours des années 1970, au point de devenir presque hégémonique au début des années 1980. Même si cette approche semble aujourd’hui perdre un peu de terrain, elle reste encore largement dominante. Se fondant sur les axiomes de l’individualisme méthodologique, l’école du Public Choice aboutit à une série de postulats, dont le principal consiste à établir une homologie entre le fonctionnement – supposé – du marché capitaliste et le fonctionnement – supposé – de la démocratie parlementaire. Ainsi, James Buchanan, l’un des principaux promoteurs de cette approche et lauréat du prix Nobel d’économie en 1986, écrit : « Dans une démocratie, la pression qu’exerce sur les politiciens la concurrence de ceux qui aspirent à prendre leur place ressemble à la pression exercée sur les entrepreneurs privés. Les entreprises sont en concurrence entre elles […] pour s’attacher la clientèle des consommateurs. De manière similaire, les politiciens sont en compétition pour obtenir le soutien de l’électorat [8] ». Un autre éminent représentant de cette école, Bruno Frey, est encore plus explicite : « Dans l’arène politique, les mêmes hypothèses de comportement sont adoptées que dans le domaine économique. […] Les partis se [font] concurrence pour les voix sur un marché politique fonctionnant parfaitement. L’analogie avec le modèle de l’économie de marché est évidente. À la place d’entrepreneurs en concurrence pour maximiser leurs profits, il y a des politiciens cherchant à maximiser leurs votes ; et à la place des consommateurs, il y a des votants qui eux aussi maximisent leur propre utilité [9]. »

8Une fois adopté un tel postulat, la conclusion s’impose d’elle-même. Laissons à J. Buchanan le soin de la formuler : « les déficits naissent parce que les politiciens […] accroissent leurs perspectives de survie politique en augmentant les dépenses et en engendrant des diminutions d’impôts [10] ».

9Le modèle propagé par l’école des choix publics et popularisé par les médias ne possède, dans le meilleur des cas, qu’un pouvoir explicatif minime. Il est, plus probablement, dépourvu de toute valeur heuristique. Sur le plan méthodologique, ses lacunes sont flagrantes : il s’appuie sur des prémisses – les quelques citations ci-dessus en témoignent – parfaitement insuffisantes ; il entremêle discours axiologique et discours analytique, prétentions descriptives et injonctions prescriptives, et souffre de multiples apories. Sur le plan historique, il ne résiste pas à une mise en perspective de longue durée. Enfin, il ne peut pas s’asseoir sur les faits. Les tentatives de vérification empirique auxquelles il a donné lieu depuis plus de vingt ans – la plupart conduites par des adeptes du Public Choice – ont débouché sur des résultats qui soit ne lui accordent qu’une influence marginale, soit l’infirment [11].

10En dépit de leur vacuité scientifique et de leur simplisme, les schémas avancés par l’école des choix publics ne peuvent pas être négligés pour autant, ne serait-ce qu’en raison de leur évidente force d’influence sur les agents du pouvoir d’État. Ils stimulent et justifient tout à la fois les grandes orientations adoptées en matière économique, financière et sociale depuis la fin des années 1970, en particulier l’attaque frontale menée contre les politiques inspirées de ce que l’on pourrait appeler le « keynésianisme social » d’après-guerre. À cet égard, relevons qu’une analyse plus fine que celle qu’on peut conduire ici serait très utile afin de mesurer précisément l’influence du Public Choice sur les différents États nationaux et auprès, bien sûr, des institutions supranationales, l’Union européenne en tout premier lieu. D’une part, le poids de ces doctrines varie de pays à pays : il n’est pas le même aux États-Unis et dans les différents États européens. D’autre part, il serait nécessaire de consacrer une attention particulière aux différents réseaux, dans les champs économique, politique, universitaire et médiatique, à travers lesquels cette théorie s’est formée puis, pour ainsi dire, popularisée. Il serait notamment fécond d’analyser, au sein de chaque contexte national, la manière dont ces réseaux se sont articulés ou, au contraire, dissociés, par exemple d’étudier le degré d’intégration entre les fondations privées (Think Tanks), les associations issues du monde des affaires, les milieux académiques et le champ du pouvoir. Dans le cadre restreint de cet article, il n’est toutefois pas possible de fournir, ni même d’ébaucher, une telle analyse [12].

11En revanche, il faut encore relever que l’école des choix publics déborde largement de son territoire pour légitimer et encourager l’application de dispositions limitant gravement la démocratie, voire de mesures autoritaires. En effet, si la crise financière de l’État plonge ses racines dans la démocratie parlementaire, il semble relever du bon sens de restreindre cette dernière. C’est ainsi que, dans maints pays, des mécanismes rognant, parfois très sérieusement, les prérogatives des Parlements sur le plan budgétaire ont été mis en place [13]. Mais il ne s’agit là que d’une première étape aux yeux de nombreux partisans de l’école des choix publics. Bien qu’il la juge « radicale et antidémocratique », The Economist trouve que « l’idée d’une autorité financière indépendante », créée sur le modèle des banques centrales et à laquelle la politique financière serait confiée, « mérite d’être prise sérieusement en consideration [14] ». Dans un ouvrage publié en 2000, Vito Tanzi, un fervent défenseur du Public Choice, aujourd’hui sous-secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances dans le gouvernement de Silvio Berlusconi, plaide également en faveur d’une « institution indépendante » chargée de la conduite budgétaire dans un chapitre intitulé, significativement, « Changer de régime politique [15] ». Un peu plus loin, l’auteur consacre deux pages à vanter l’exemple du Chili où, dès la prise du pouvoir par la sanglante dictature du général Augusto Pinochet en 1973, « les réformes quant au rôle de l’État ont permis une impressionnante réduction des dépenses publiques », en particulier dans « les subventions et les transferts » ; il est vrai que le futur sous-secrétaire d’État consacre une ligne à déplorer que « les succès économiques du régime militaire […] aient été ternis par son bilan en matière de droits humains [16] ». Dans ce contexte, la récente étude de Jacques Sapir, Les Économistes contre la démocratie[17], met le doigt sur une problématique particulièrement pertinente.

Marasme économique et déficits

12En fait, la crise des finances publiques que connaissent presque tous les pays industrialisés depuis la seconde moitié des années 1970 est le produit, pour l’essentiel, de trois facteurs. Elle renvoie, en premier lieu, au fait que ces pays entrent, dès 1973-1974, dans une longue période de ralentissement de la croissance économique, entrecoupée de récessions, qui se prolonge aujourd’hui encore. Dans une telle situation, la quantité de matière imposable tend à se contracter puisque les salaires et les revenus, la masse des profits ou encore le volume des échanges souffrent d’une certaine atonie. Si le degré de pression fiscale reste au même niveau, le mouvement des recettes étatiques ne peut donc que s’engourdir. Or, de l’autre côté, la même situation tend à déboucher sur une conséquence diamétralement opposée, soit la hausse des dépenses publiques, puisque, depuis la Seconde Guerre mondiale en tout cas, une large partie des coûts supplémentaires provoqués par les crises économiques est socialisée, c’est-à-dire prise en charge par l’État. Ce processus en ciseaux accroît les déficits. L’importance de ce facteur d’ordre économique ne fait aucun doute. Il a joué un rôle déterminant dans le premier moment de brutale dégradation que les comptes étatiques ont connu dès le milieu des années 1970. Mais sa portée ne doit pas être surestimée. Elle est loin de correspondre à celle que la littérature financière traditionnelle ou les médias lui attribuent d’autant plus volontiers qu’un tel facteur semble avoir la force inexorable du destin et qu’il pousse donc à l’acceptation résignée plutôt qu’à la résistance. D’une part, il ne peut pas expliquer à lui seul la durée et la profondeur de la crise financière. Après tout, si la croissance économique s’est nettement ralentie, elle n’a pas disparu : certes, le taux d’augmentation du PIB (réel) des pays membres de l’OCDE a régressé par rapport à la moyenne de 4,9 % par an atteinte de 1960 à 1973, mais il demeure néanmoins non négligeable, proche de 3 % par année entre 1974 et 2000 [18]. D’autre part et surtout, il n’existe aucune « loi d’airain » dans le domaine des finances publiques, dont la plupart des variables sont de nature irréductiblement sociale et politique. Ainsi, une phase de marasme économique n’entraîne pas automatiquement des déficits, car maints autres éléments – en particulier le degré de pression fiscale dont la hausse ou la baisse dépend de choix effectués sur le plan politique – exercent une influence cruciale. La crise financière de l’État est donc avant tout la résultante de rapports de force socio-politiques, elle est le produit d’une politique financière. Ce constat trouve une illustration saisissante lorsque l’on examine la deuxième origine de cette crise.

La politique des caisses vides

13Depuis le début des années 1970, les milieux industriels et bancaires des pays économiquement développés se trouvent confrontés à une exacerbation de la concurrence qui les jette les uns contre les autres, phénomène dû principalement à l’internationalisation croissante des échanges et des flux de capitaux, au déclin de la profitabilité ainsi qu’à une conjoncture économique morose et instable. Pour ces milieux, la capacité à s’imposer dans cette lutte plus féroce passe par l’amélioration de leur compétitivité respective. D’où leur tournant vers le néolibéralisme, c’est-à-dire vers une politique musclée de contre-réforme, axée sur le patient démantèlement des conquêtes sociales, économiques et fiscales accumulées depuis le début du XXe siècle par les salariés.

14Dans le domaine des finances publiques, ce tournant s’est concrétisé par l’adoption et l’application progressives de ce que plusieurs auteurs anglo-saxons appellent la « politique des déficits », expression à laquelle on peut peut-être préférer, parce qu’elle est plus parlante et plus correcte conceptuellement, celle de « politique des caisses vides ». Résumée brièvement, cette orientation consiste à limiter ou à diminuer les recettes de l’État, en plafonnant ou en baissant les impôts, de préférence ceux qui touchent les détenteurs de capitaux, dans le dessein de creuser les déficits budgétaires. En d’autres termes, il s’agit de favoriser ou même de provoquer une crise des finances publiques. Ruth Richardson, l’une des pionnières de la politique d’assèchement des recettes de l’État et ministre des Finances de la Nouvelle-Zélande de 1990 à 1993, l’admet sans fard : « Si vous ne connaissez pas une véritable crise, inventez-la ! [19] » déclare-telle, en novembre 1997, lors d’une conférence devant l’establishment helvétique. L’objectif de cette stratégie consiste à créer ce qu’un chercheur américain nomme « un climat d’austérité [20] » et un autre « un levier permanent pour couper dans les budgets sociaux [21] », bref à établir des conditions idéologiques et politiques favorables à la contre-réforme sociale et financière. Guy Sorman, un promoteur de cette ligne de conduite, le résume sobrement : « le déficit engendré par la baisse des impôts apparaît […] comme un formidable moyen de pression pour contraindre l’État à rétrécir. Il n’y a en vérité aucun autre moyen que cette pression [22] », écrit-il en 1984.

15Il vaut la peine de signaler qu’une telle orientation ne relève pas d’un choix imprévoyant ou inconsidéré, mais, comme le relève une étude canadienne, d’ « une stratégie mûrement réfléchie [23] ». En fait, elle a des racines très anciennes. Elle s’inscrit dans le prolongement de la vieille inclination que de larges secteurs des milieux dirigeants ont manifestée en faveur d’un « État pauvre [24] », d’un État fiscalement vacillant et lesté d’une lourde dette, dès l’époque où ils ont pris conscience qu’avec la généralisation des droits démocratiques et la montée en puissance du mouvement ouvrier, il ne leur était plus guère possible de déterminer directement et à eux seuls les grandes orientations en matière de finances publiques. Ainsi, au début du XXe siècle déjà, et pour prendre l’exemple de la Suisse, un grand entrepreneur de la chimie bâloise, devenu pour quelques années ministre des Finances de son canton, a œuvré durant son mandat pour que les comptes étatiques, a-t-il expliqué rétrospectivement, « se clôtur[ent] généralement par un déficit […], ce qui exerce toujours une impression salutaire sur le peuple [25] ». Au même moment, un autre patron de la chimie bâloise, député au Parlement suisse, se battait contre l’ouverture de nouvelles sources de recettes fiscales au bénéfice de la Confédération helvétique et pour le maintien de celle-ci dans une situation budgétaire précaire car, sinon, déclarait-il, « le postulat d’une assurance-vieillesse et invalidité devrait alors être realize [26] ».

16Les prémices d’une réactualisation de la politique des caisses vides se sont déjà fait sentir au cours des années 1970. Mais c’est à partir du tournant des années 1980, lorsque l’élection de Margaret Thatcher (1979) et de Ronald Reagan (1980) a signifié – comme le précise V. Tanzi – que « deux opposants énergiques » à l’État keynésien « sont arrivés au pouvoir dans deux pays très influents [et] ont utilisé leurs puissantes positions pour mener une attaque politique résolue contre [cet] État [27] », qu’une telle stratégie a été appliquée, avec des décalages temporels et des intensités différentes selon les cas, dans la grande majorité des pays économiquement développés. Sous cet angle, les États-Unis ont joué un rôle prépondérant.

17À peine élu, le président républicain R. Reagan a annoncé la couleur. Comparant l’État social américain à un enfant turbulent enclin aux dépenses « extravagantes », il synthétisait sa future politique financière en déclarant que le meilleur moyen de le discipliner était « simplement de réduire son argent de poche [28] ». Dans ce sens, pendant les huit années de sa présidence, puis les quatre ans de son successeur George Bush, l’Administration républicaine a sensiblement réduit les impôts, contribuant ainsi, selon les termes de Dominique Richet, à « creus[er] le déficit à un niveau sans précédent dans l’histoire des États- Unis [29] ». Sous la pression de cette crise financière, c’est – paradoxalement – le président démocrate Bill Clinton, élu en 1992 et réélu en 1996, qui a finalement porté les coups les plus sévères à l’État social américain. « Reagan l’a rêvé, Clinton l’a fait : le démantèlement de l’aide sociale [30] », récapitule D. Richet. Grâce à des mesures d’austérité souvent brutales, aidées, il est vrai, par la bonne conjoncture économique aux États- Unis, l’Administration démocrate est donc parvenue non seulement à diminuer le déficit mais à dégager de volumineux excédents dès 1999.

18À la fin des années 1990, tous les instituts de prévision prédisaient, en conséquence, des surplus élevés pour les dix ans à venir. En janvier 2000 par exemple, à un moment où la dette totale de l’État central américain tournait autour de 3 600 milliards de dollars, le Congressional Budget Office calculait que le cumul des excédents attendus pour la prochaine décennie atteindrait 4 200 milliards de dollars [31]. Dans ce contexte, Bill Clinton a fait connaître son intention de consacrer l’essentiel de ces surplus à rembourser la majeure partie, voire la totalité, de la dette publique [32]. Il a aussitôt déclenché une levée de boucliers. The Economist a soudain découvert que « la réduction [des] dettes peut aussi provoquer des problèmes » et qu’ « un gouvernement serait insensé s’il repayait toute sa dette [33] ». Quant aux « marchés financiers », un économiste n’hésite pas à écrire, rétrospectivement, qu’ils ont été pris de « panique [34] ». L’inquiétude ne durera guère. À peine arrivé à la Maison-Blanche, en janvier 2001, le nouveau président, républicain, George Bush Jr., a fait passer un programme massif de réduction d’impôts, favorisant essentiellement les riches [35]. « La politique des déficits est de retour [36] », note, soulagé, The Economist en août 2001. Au lieu des surplus prévus, les comptes de l’État américain vont ainsi replonger dans le rouge dès 2002. Mais la pression exercée par la réapparition des déficits n’est pas encore jugée assez vigoureuse par l’ultraconservatrice et très influente Heritage Foundation, qui, en juillet 2002, reprend la métaphore reaganienne de 1981 : « Chaque parent sait que l’on ne donne pas une bonne leçon à un enfant dispendieux en lui augmentant son argent de poche. […] Nous devons obtenir davantage de baisses d’impôts [car] il deviendrait plus difficile aux politiciens de gaspiller notre argent [37]. »

19Le cas des États-Unis, comme ceux d’autres pays [38], montre que la politique d’assèchement des caisses de l’État est conçue comme une œuvre de longue haleine. Les rapports de force socio-politiques ne se modifient que lentement et ne permettent pas l’avancée rapide de la contre-réforme néolibérale. « La réforme sera longue et ardue politiquement [39] », avertit V. Tanzi, avant de fixer l’horizon de 2020 pour en revenir à l’État social tel qu’il était en 1960.

Des succès consistants

20Il est intéressant de dresser un bref bilan, autant que les séries statistiques disponibles le permettent, des résultats auxquels la contre-réforme néolibérale est parvenue sur le plan financier. L’un des objectifs majeurs de l’offensive des milieux industriels et bancaires ainsi que de leurs représentants réside dans la diminution des dépenses étatiques, en particulier de celles qui ne sont pas directement utiles aux détenteurs de capitaux – dans le domaine de la sécurité sociale bien sûr, mais aussi de l’éducation, de la santé, de la culture ou encore de ladite aide au développement du tiers-monde.

21Comme l’illustre le graphique 1, la quote-part étatique au sein de l’OCDE [40], c’est-à-dire le rapport entre les dépenses totales des collectivités publiques (y compris les dépenses de la sécurité sociale) des pays membres de l’OCDE et la somme de leurs PIB, suit une évolution très contrastée. De 1960 à 1980, la croissance est soutenue : on passe de 28,1 % à 38,7 %, ce qui correspond à une augmentation annuelle moyenne de 1,61 %. On assiste à un tournant autour de 1980, puisque la progression des dépenses est brutalement bloquée et fait place à une régression légère, mais persistante, de 0,2 % par an. L’entrée dans l’ère de la politique des caisses vides a donc permis d’arrêter et même d’inverser un mouvement qui durait depuis si longtemps qu’il semblait irrépressible. Il faut aussi souligner que cette inversion reflète, en partie, la vague de désengagement étatique qui s’est produite depuis les années 1980 sous la forme des privatisations. Répondant à la question de savoir « quel est le meilleur stimulus à la privatisation », R. Richardson affirme d’ailleurs sans hésiter : « La crise financière, bien sûr [41]. »

Grafique 1

Quote-part étatique (= rapport des dépenses publiques totales/PIB) des pays membres de l’OCDE, 1960- 2001 (en %)

Grafique 1

Quote-part étatique (= rapport des dépenses publiques totales/PIB) des pays membres de l’OCDE, 1960- 2001 (en %)

22Ce premier succès se confirme si l’on se penche plus précisément sur l’État social. Comme l’indique le graphique 2, les dépenses en matière de sécurité sociale des pays membres de l’OCDE [42] connaissent un mouvement proche de celui qui vient d’être décrit, même si le tournant induit par les années 1980 est moins marqué. De 1960 à 1980, ces dépenses effectuent une marche rapide vers le haut, au rythme de 2,94 % par an, en moyenne. À partir de 1980, la marche ascendante se poursuit, certes, mais au ralenti, puisqu’elle n’est plus que de 1,37 % par année, cela en dépit du fait que la phase 1980-1998 se caractérise par l’aggravation considérable des problèmes sociaux (chômage de masse, précarisation croissante, etc.) par rapport à la période précédente.

Graphique 2

Dépenses publiques de sécurité sociale des pays membres de l’OCDE et des États-Unis, 1960-1998 (en % du PIB)

Graphique 2

Dépenses publiques de sécurité sociale des pays membres de l’OCDE et des États-Unis, 1960-1998 (en % du PIB)

Et encore s’agit-il là de l’ensemble de l’OCDE. Si l’on se penche sur le cas des États-Unis, où l’assèchement des recettes de l’État couplé à la politique d’austérité a été mené de façon particulièrement précoce et déterminée, on voit que le tournant est sensiblement plus prononcé. Alors que les dépenses de sécurité sociale dans ce pays augmentent de 1,78 % par année, en moyenne, entre 1960 et 1980, elles tendent à stagner depuis cette date, avec une progression très faible, de 0,57 % par an : le nombre de pauvres et l’ampleur des inégalités sociales ont, du reste, explosé aux États- Unis depuis 1980 [43].

23Sur le plan financier, la contre-réforme néolibérale s’est fixé deux autres buts centraux. Diminuer le « poids » de l’État, c’est-à-dire le degré général de pression fiscale, d’une part, et modifier la répartition de la charge des impôts, d’autre part. Dans ce domaine, le graphique 3, qui porte sur la quote-part fiscale au sein de l’OCDE [44], c’est-à-dire sur le rapport entre les recettes fiscales totales des collectivités publiques (y compris celles de la sécurité sociale) des pays membres de l’OCDE et la somme de leurs PIB, fait clairement ressortir les grandes tendances. Jusqu’au début des années 1980, les recettes fiscales suivent une pente ascendante soutenue : de 1960 à 1980, le niveau de ces recettes passe de 25,4 % à 34,1 %, soit une augmentation annuelle moyenne de 1,48 %. Dès 1980, on assiste à un déclin sensible, et qui s’accélère, du rythme de progression des revenus fiscaux. Entre 1980 et 1990, ce rythme atteint encore 0,87 % par an, mais il n’est plus que de 0,41 % de 1990 à 2001. La politique des caisses vides tend donc bien à stabiliser le niveau de la pression fiscale, ce qui peut laisser penser que le moment où celle-ci va régresser n’est plus éloigné.

Graphique 3

Quote-part fiscale (= rapport des recettes fiscales totales/PIB) des pays membres de l’OCDE, 1960- 2001 (en %)

Graphique 3

Quote-part fiscale (= rapport des recettes fiscales totales/PIB) des pays membres de l’OCDE, 1960- 2001 (en %)

24Dans l’optique néolibérale, la crise financière de l’État a également pour fonction de créer un terrain propice à la remise en cause de la structure de la charge fiscale. En bref, il s’agit de transférer une fraction du poids de l’imposition reposant sur les détenteurs de capitaux vers la grande majorité des salariés. On peut mesurer le chemin parcouru dans ce sens, même si la méthode reste peu élaborée, en comparant l’évolution de la part des impôts directs (y compris les cotisations de sécurité sociale), d’un côté, et des impôts indirects, de l’autre, dans les recettes fiscales totales des pays de l’OCDE. En effet, comme les impôts indirects portent sur la consommation, ils sont régressifs et frappent donc plus lourdement la masse des consommateurs salariés. Par contre, les impôts directs touchent les revenus et la fortune et sont généralement progressifs : en principe, ils affectent plus sévèrement les bénéficiaires de revenus élevés.

25Le graphique 4 montre qu’entre 1960 et 1980 la part de l’imposition directe s’est accrue – au rythme annuel moyen de 0,5 % – alors que celle des impôts de consommation diminuait de 0,99 % par année [45]. La répartition de la charge fiscale paraît s’être déplacée en faveur des salariés normaux et au détriment des riches. La situation change considérablement au tournant des années 1980. La part de l’imposition sur les revenus et la fortune stagne au niveau atteint en 1980 puisque, depuis cette date jusqu’en 2001, elle ne progresse que de façon infime, soit de 0,08 % par an [46]. Dans le même temps, le recul de la part des impôts indirects est pratiquement stoppé, la diminution n’atteignant plus que 0,18 % par année. En résumé, le mouvement qui tendait à désavantager les bénéficiaires de revenus élevés et à favoriser les autres a été bloqué.

Graphique 4

Évolution de la part respective des impôts indirects dans les recettes fiscales totales des pays membres de l’OCDE, 1960-2001 (en %)

Graphique 4

Évolution de la part respective des impôts indirects dans les recettes fiscales totales des pays membres de l’OCDE, 1960-2001 (en %)

Les succès de la contre-réforme néolibérale sont patents. D’importants pas ont donc été accomplis en direction de l’ « État svelte [47] », du démantèlement de la sécurité sociale et de la baisse de la pression fiscale reposant sur les riches. Mais les résultats de la politique des caisses vides ne se bornent pas à cela. Aux yeux des détenteurs de capitaux, elle présente encore deux atouts qu’il convient de signaler.

26En obligeant les pouvoirs publics à contracter de fréquents et gigantesques emprunts et en les lestant d’une lourde dette qu’ils sont contraints de renégocier en permanence, cette stratégie accroît leur degré de dépendance politique à l’égard des milieux capitalistes. Dans un livre précurseur consacré à la crise financière de l’État, James O’Connor attirait l’attention sur le fait que « la dette resserre l’emprise du capital sur l’État » et rend celui-ci « inféodé politiquement à [la] classe des banquiers, investisseurs et autres courtiers en argent [48] ». C’est exactement ce qu’un grand banquier anglais soulignait en avril 1992, au lendemain de l’élection du successeur de Mme Thatcher au poste de Premier ministre : « John Major devra nous parler avec des gants. Car il faudra bien l’aider à combler le trou des dépenses publiques [49]. »

27D’autre part, les déficits publics alimentent la financiarisation de manière particulièrement bénéfique pour les établissements financiers, les fonds de pension et les riches. Au lieu de payer davantage d’impôts, ces derniers se voient offrir des placements rentables et sûrs, facteurs primordiaux dans une phase économique qui se distingue par sa grande instabilité. En France, à la fin de 1999, une part de l’ordre de 80 % de la dette publique est aux mains de ces trois catégories d’agents, dont un quart environ à l’étranger [50]. Comme le note l’économiste François Chesnais : « Le marché obligataire public est le compartiment le plus actif et le plus internationalisé de la place de Paris, comme de celles de tant d’autres pays [51]. »

Mondialisation financière et concurrence fiscale

28L’accélération du processus de mondialisation et de financiarisation du capitalisme depuis le milieu des années 1970 a permis aux entreprises et aux riches particuliers d’intensifier considérablement, pour leur plus grand profit et au détriment de la très grande majorité de la population active, en particulier des secteurs les plus exploités et les plus opprimés parmi elle, la concurrence fiscale entre collectivités publiques locales et entre États nationaux. Celle-ci a pris de telles dimensions que même une organisation aussi acquise aux valeurs du néolibéralisme que l’OCDE s’est senti obligée de publier, en 1998, un opuscule intitulé Concurrence fiscale dommageable. Un problème mondial[52].

29Le mouvement de concentration du capital s’est puissamment renforcé : aujourd’hui, les 200 premières multinationales totalisent un chiffre d’affaires supérieur au quart du PIB mondial [53]. En outre, la circulation des capitaux, spéculatifs ou non, a été quasiment libérée de toute entrave. Ces phénomènes accroissent les moyens de pression de ces firmes sur les autorités politiques afin d’obtenir des privilèges fiscaux. Par ailleurs, ils multiplient leurs possibilités d’évasion et de fraude fiscales. Il suffit d’un exemple pour l’illustrer : actuellement, une proportion située autour de 30 % du commerce mondial est intra-groupe, c’est-à-dire qu’elle s’effectue entre les filiales des multinationales [54]. Ces dernières disposent ainsi de vastes opportunités pour manipuler les prix de transfert, à savoir les prix fixés pour les échanges opérés entre leurs filiales, afin d’augmenter les coûts dans les États à fiscalité relativement élevée et d’amenuiser les profits dans ceux où l’imposition est légère. De 1988 à 1998, la puissante holding Newscorp Investments de Rupert Murdoch, l’un des magnats mondiaux des médias, a réussi à réaliser 2,1 milliards de dollars de bénéfices sans payer un seul centime d’impôt en Grande-Bretagne, en jouant sur les prix de transfert entre les quelque 800 filiales qu’elle entretient à travers la planète [55].

30Comme les entreprises et les détenteurs de capitaux sont devenus plus mobiles, leurs menaces de délocalisation ont pris davantage de poids. D’autant qu’elles s’appuient sur le déferlement de l’idéologie hostile à l’État et à l’imposition et sur de vieilles formules ad hoc propulsées au rang de théories, la plus célèbre étant « trop d’impôt tue l’impôt », popularisée, notamment, par l’économiste américain Arthur Laffer [56]. Dans ce contexte, les milieux dirigeants des pays économiquement développés se sont lancés dans une course vers le « moins fiscal » en faveur des sociétés et des nantis.

31Entre le début des années 1980 et la fin de 2001, le taux marginal d’imposition maximale sur les entreprises a été baissé d’environ 13 % aux États-Unis, 24 % en Australie, 42 % au Royaume-Uni et 50 % en Suède. De 1992 à fin 2001, ce taux a été diminué d’environ 16 % au Canada, 19 % au Japon, 21 % au Danemark, 23 % en Italie et au Luxembourg, 30 % en Suisse et 36 % en Allemagne [57]. Le taux marginal d’imposition maximale des revenus des personnes physiques a lui aussi été considérablement amenuisé du début des années 1980 à 1996, dans des proportions variant entre 10 % environ en France et 60 % au Royaume-Uni [58]. Quant au taux effectif d’imposition des revenus de la fortune, il a diminué de 10 %, en moyenne, entre 1981 et 1995, au sein de l’Union européenne, alors que la taxation des revenus du travail augmentait de 7 % [59].

32Ce contexte a favorisé le développement impétueux, depuis les années 1970, de paradis fiscaux au sein desquels l’argent issu de la criminalité organisée et celui provenant de la fraude du fisc font plus ou moins bon ménage, puisqu’ils suivent les mêmes circuits [60]. Au Luxembourg, comme l’explique André Bauler, « en raison des avantages légaux et fiscaux octroyés par le gouvernement aux organismes de placement collectif [61] » en 1983, le nombre de ces organismes a été multiplié par 16 et le montant de leurs avoirs sous gestion par 40 environ. En Suisse, on peut estimer que la somme des fonds confiés à la gestion des banques a au moins décuplé, en valeur réelle, entre 1970 et 2000 [62]. Aujourd’hui, les capitaux venant de l’étranger et gérés, à partir des sièges suisses, par la place financière helvétique atteignent un volume de l’ordre de 1 500 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la France. Une part essentielle de cet argent est issue de la fraude fiscale. Au total, les quelque 70 zones de paradis fiscaux recensées comprennent aujourd’hui 1,2 % de la population mondiale, mais une proportion de l’ordre d’un quart des capitaux du monde s’y trouve ou y transite [63].

La Finanzsoziologie

Durant la majeure partie du XXe siècle, l’étude des finances publiques a été dominée par des courants qui, au-delà de leurs différences ou divergences, se rejoignent autour d’un dénominateur commun fondamental : ils évacuent, tout ou partie, la dimension sociale et politique des finances publiques au profit d’un regard étroitement technique, borné aux seuls aspects juridiques ou économiques. Lorsque ce n’est pas le cas, ces courants construisent ce que Michael Krätke appelle des « modèles frivoles [1] », c’est-à-dire hautement formalisés, désincarnés et arbitraires parce que fondés sur les prémices de l’individualisme méthodologique le plus simpliste. En marge de cette orthodoxie, il existe cependant un filet de pensée qui s’est maintenu, tant bien que mal, tout au long du siècle et qui a essayé d’élaborer autant que de pratiquer une approche différente, plaçant le social et le politique, en particulier les relations de domination et les rapports de force, au centre de l’analyse : la sociologie financière. Cette orientation, très peu connue en France, est née durant ce « tournant de l’histoire financière européenne [2] » qu’a été la Première Guerre mondiale : le terme de « sociologie financière », Finanzsoziologie, est employé pour la première fois, semble-t-il, dans un ouvrage publié en 1917 par Rudolf Goldscheid, un sociologue et philosophe autrichien politiquement proche de la social-démocratie mais assez ambigu [3]. Les racines intellectuelles de cette approche sont toutefois plus anciennes et puisent, notamment, dans l’école historique allemande, le marxisme et la sociologie italienne, en particulier celle de Vilfredo Pareto [4].
Les réflexions de Rudolf Goldscheid ont connu un large écho dans l’espace linguistique germanophone. Suscitant une contribution majeure de Joseph Schumpeter, parue en 1918 [5], elles ont inspiré une série d’auteurs parmi lesquels Fritz Karl Mann, Herbert Sultan et Horst Jecht [6]. En Italie également, plusieurs chercheurs ont emprunté cette voie durant l’entre-deux-guerres [7]. En revanche, la résonance dans les autres pays est restée, apparemment, beaucoup plus faible. Mais même en Allemagne ou en Italie, en raison, probablement, du nazisme et du fascisme, la sociologie financière a subi une assez longue éclipse dès la fin des années 1930. À quelques exceptions près [8], ce n’est qu’à partir des années 1970 que cette pensée a engendré un regain d’intérêt qui, tout en demeurant très modeste, ne s’est pas démenti jusqu’à aujourd’hui [9].
Partant de l’idée que l’État joue un rôle fondamental dans les champs économique, social, politique et culturel et que les finances publiques se situent précisément à l’intersection entre ces différents champs et le champ étatique, la sociologie financière fournit une sorte de programme de recherche dans deux directions, dont F. K. Mann propose le résumé le plus concis : « Rechercher, d’une part, […] les composantes sociales des finances » et « d’autre part, […] les composantes financières de la société. [10] » Cette approche se distingue donc à la fois par ses exigences méthodologiques et par les objets d’étude qu’elle se fixe.
Sa première caractéristique consiste à étayer l’examen de l’évolution des finances publiques sur l’analyse des rapports, spécialement de domination, existant entre les différents agents intervenant dans ce champ. Une telle analyse porte, notamment, sur les intérêts et les positions des divers groupes sociaux et de leurs organisations, sur les rapports de force entre eux, les formes et les fonctions de l’État et des diverses institutions parties prenantes du champ politique, les relations entre les différentes couches de la bureaucratie étatique, etc.
Ensuite, la sociologie financière transgresse les limites que s’assignent les courants dominants, qui se centrent sur la politique financière au sens restreint du terme, c’est-à-dire, pour l’essentiel, sur les processus de prise de décisions en matière budgétaire. En raison de son approche globalisante, elle incite à repenser les limites établies par les frontières disciplinaires et à étudier la politique financière dans ses liens réciproques avec d’autres sphères de l’activité étatique, en premier lieu dans le domaine monétaire et dans celui du crédit. Plus généralement, elle pousse à intégrer étude de la politique financière et examen de la politique économique et sociale.
Enfin, la sociologie financière met l’accent sur le fait, et c’est un de ses aspects heuristiques les plus féconds, que les finances publiques représentent un angle d’attaque fertile pour saisir les évolutions socio-politiques dans leur ensemble, particulièrement lorsqu’il s’agit de repérer les ruptures et les continuités. L’un de ses pionniers, Joseph Schumpeter, remarque ainsi que : « Les finances sont un des meilleurs points de départ pour étudier les mécanismes sociaux, en particulier, quoique non exclusivement, les mécanismes politiques. Toute la fécondité de ce point de vue se révèle notamment lors des moments – ou mieux, des époques – de tournant, lorsque le présent commence à mourir et à se muer en quelque chose de nouveau […] : cette fécondité se traduit aussi bien dans ce qu’un tel point de vue révèle sur le plan causal – les phénomènes financiers étatiques constituent un élément important du complexe causal de tout changement – que dans ce qu’il révèle sur le plan symptomatique – tout événement laisse une marque sur les finances [11]. »

33À ce propos, il est intéressant de préciser que les paradis fiscaux sont souvent montrés du doigt et présentés, dans les médias comme dans la littérature plus académique, comme une excroissance malsaine sur un corps sain. Cette optique est commode, mais superficielle. En fait, ces paradis ne constituent que la forme la plus visible et la plus exacerbée que prend la concurrence fiscale et, dans ce sens, ils sont consubstantiels au capitalisme et constituent un maillon important de son fonctionnement.

34L’ensemble des phénomènes qui viennent d’être décrits entraîne l’érosion de la masse des revenus, des bénéfices et de la fortune qui sont imposés. Ce facteur tend à réduire les recettes de l’État et à creuser les déficits, ajoutant ses effets à ceux de la politique des caisses vides. En même temps, une série de contraintes financières rigides a été adoptée dans la plupart des pays industrialisés, à l’image du Traité de Maastricht, signé en 1992 et limitant le déficit annuel autorisé à 3 % et la dette à 60 % du PIB. Dès lors s’est mis en place une sorte de mécanisme circulaire, vicieux pour les salariés et vertueux pour les détenteurs de capitaux : la concurrence fiscale pousse la pression fiscale sur les riches à la baisse, ce qui diminue les recettes étatiques, accroît les déficits et impose aux pouvoirs publics la limitation de leurs dépenses.

Notes

  • [1]
    R. Goldscheid, « Staat, öffentlicher Haushalt und Gesellschaft », in Rudolf Hickel (éd.), Die Finanzkrise des Steuerstaats, Francfort, Suhrkamp, 1976, p. 256 (1re édition de l’article : 1926).
  • [2]
    Dans les cas où cela était possible sur le plan statistique, les 23 pays suivants, membres de l’OCDE depuis 1960, ont été pris en compte : le Canada, les États-Unis, l’Australie, le Japon, la Nouvelle- Zélande, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, l’Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni.
  • [3]
    Cf. B. G. Peters, The Politics of Taxation, Cambridge MA, Blackwell, 1991, p. 80, ainsi que Perspectives économiques de l’OCDE, Paris, vol. 57, juin 1995, p. A33, et vol. 71, juin 2002, p. 270.
  • [4]
    Cf. B. G. Peters, The Politics of Taxation, op. cit., p. 44 ; Vito Tanzi et Ludger Schuknecht, Public Spending in the 20th Century, Cambridge- New York, Cambridge University Press, 2000, p. 65, et Perspectives économiques de l’OCDE, Paris, vol. 60, décembre 1996, p. A37, et vol. 71, juin 2002, p. 275.
  • [5]
    USA Today, 16 juillet 2002.
  • [6]
    The Economist, 5 juin 1999, p. 84.
  • [7]
    Neue Zürcher Zeitung, 5 janvier 1995.
  • [8]
    James Buchanan et R. Wagner, Democracy in Deficit, New York- San Francisco-Londres, Academic Press, 1977, p. 96.
  • [9]
    Bruno S. Frey, Économie politique moderne, Paris, PUF, 1985, p. 120.
  • [10]
    J. Buchanan et al., « Government by Red Ink », in J. Buchanan et al. (éd.), Deficits, New York-Oxford, Blackwell, 1987, p. 5.
  • [11]
    On ne peut s’étendre ici sur le sujet ; pour une critique théorique et empirique de ce modèle, et, plus généralement, de l’école des choix publics, voir, notamment, David Heald, Public Expenditure, Oxford, Robertson, 1983, p. 271-274 ; Paul E. Peterson, « The New Politics of Deficits », Political Science Quarterly, vol. 100, 1985, p. 581-587 ; S. Guex, L’Argent de l’État, Lausanne, Éditions Réalités sociales, 1998, p. 19-38 et 257-262 ; Wolfgang Klages, Staat auf Sparkurs, Francfort-New York, Campus, 1998, p. 216-227, 282-287 et 328-335.
  • [12]
    On en trouvera les linéaments pour différents pays dans, entre autres, Yves Dezalay, « Multinationales de l’expertise et “dépérissement de l’État” », Actes de la recherche en sciences sociales, 96-97, mars 1993, p. 3-20 ; Keith Dixon, Les Évangélistes du marché, Paris, Raisons d’Agir, 1998 ; Belén Belanyà et al., Europe Inc. Liaisons dangereuses entre institutions et milieux d’affaires européens, Marseille, Agone, 2000 ; Alessandro Pelizzari, Die Ökonomisierung des Politischen, Constance, UVK Verlagsgesellschaft, 2001.
  • [13]
    C’est par exemple le cas aux États-Unis ; cf. W. Klages, Staat auf Sparkurs, op. cit., p. 294-296.
  • [14]
    The Economist, 27 novembre 1999, p. 100.
  • [15]
    V. Tanzi et L. Schuknecht, Public Spending…, op. cit., p. 136 et 139.
  • [16]
    Ibid., p. 214-215.
  • [17]
    Paris, Albin Michel, 2002.
  • [18]
    Cf. OCDE, Statistiques rétrospectives 1960-1990, Paris, 1992, p. 48, et Perspectives économiques de l’OCDE, Paris, vol. 71, juin 2002, p. 243.
  • [19]
    Citée dans Le Nouveau Quotidien, 10 novembre 1997.
  • [20]
    P. E. Peterson, « The New Politics of Deficits », art. cit., p. 576.
  • [21]
    Holly Sklar, « La croisade du retour en arrière », Page 2, 1, mai 1996, p. 30.
  • [22]
    Guy Sorman, La Solution libérale, Paris, Fayard, 1984, p. 130.
  • [23]
    Larry Brown, « La politique de la dette et la vérité sur le déficit », Les Services publics, 23, 15 décembre 1994, p. 10.
  • [24]
    R. Goldscheid, « Staat, öffentlicher Haushalt… », art. cit., p. 265.
  • [25]
    Cité dans S. Guex, L’Argent de l’État, op. cit., p. 77.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    V. Tanzi et L. Schuknecht (éds), op. cit., p. 19.
  • [28]
    Cité dans Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 15.
  • [29]
    Dominique Richet, Les Dégâts du libéralisme, Paris, Textuel, 2002, p. 66.
  • [30]
    Ibid., p. 72.
  • [31]
    Neue Zürcher Zeitung, 27 janvier 2000.
  • [32]
    Ibid., 8 février 2000.
  • [33]
    The Economist, 12 février 2000, p. 80.
  • [34]
    Jerry Van Waterschoot, « La Dette publique doit-elle être réduite à zéro ? », Problèmes économiques, n° 2.710, 25 avril 2001, p. 22.
  • [35]
    Cf. notamment Neue Zürcher Zeitung, 9 février, 3-4 mars, 31 mars-1er avril et 3 mai 2001, ainsi que The Economist, 3 mars 2001.
  • [36]
    The Economist, 4 août 2001, p. 39.
  • [37]
    USA Today, 16 juillet 2002.
  • [38]
    Voir notamment l’exemple de la Suisse ; cf. S. Guex, « Les Grandes tendances actuelles en Suisse en matière de politique financière », I Quaderni della Fondazione Guido Pedroli (Arbedo, Suisse), 3, 2002, p. 27-46.
  • [39]
    V. Tanzi et L. Schuknecht (éds), op. cit., p. 132.
  • [40]
    Il s’agit de la moyenne pondérée des pays membres de l’OCDE. Les données de base proviennent de OCDE, Statistiques historiques 1960-1990, Paris, 1992, p. 68, et Perspectives économiques de l’OCDE, 71, juin 2002, p. 268.
  • [41]
    Citée dans Bilan, septembre 1995, p. 39.
  • [42]
    Il s’agit de la moyenne non pondérée des pays membres de l’OCDE depuis 1960, exception faite de l’Irlande, de l’Islande, du Luxembourg et de la Turquie, soit 20 pays. Les données de base sont tirées de Paul Bairoch, Victoires et déboires, vol. 3, Paris, Gallimard, 1997, p. 502-503, et OECD Social Expenditure Database : 1980-1998, 2001 Édition, accessible sur le site Internet de l’OCDE.
  • [43]
    Cf. D. Richet, Les Dégâts du libéralisme, op. cit., p. 19-24.
  • [44]
    Il s’agit de la moyenne non pondérée des pays membres de l’OCDE depuis 1960, sauf la Turquie. Les données de base se trouvent dans OCDE, Statistiques des recettes publiques 1965-1997, Paris, 1998, p. 197, et 1965-2001, Paris, 2002, p. 73-74.
  • [45]
    Ont été pris en compte les 23 pays membres de l’OCDE depuis 1960, sauf la Turquie. Les données de base ont été rassemblées à partir de OCDE, Statistiques des recettes publiques 1965-1997, op. cit., p. 197, et 1965-2001, op. cit., p. 77-86.
  • [46]
    En fait, si la part de l’imposition directe ne diminue pas, c’est parce que la contribution des cotisations de sécurité sociale continue d’augmenter après 1980 ; en revanche, celle des impôts sur les revenus et la fortune décroît. Or, les cotisations sociales sont généralement proportionnelles et non progressives, d’où un affaiblissement de la progressivité de l’imposition directe, autre évolution qui favorise les revenus élevés ; cf. ibid.
  • [47]
    Horst Schmitthenner (éd.), Der « schlanke » Staat, Hambourg, VSA-Verlag, 1995.
  • [48]
    James O’Connor, The Fiscal Crisis of the State, New York, St. Martin’s Press, 1973, p. 188-189.
  • [49]
    Cité dans Le Monde, 14 avril 1992.
  • [50]
    Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, « Déterminer le niveau optimal de la dette publique », Problèmes économiques, n° 2.691, 6 décembre 2000, p. 10.
  • [51]
    Le Monde diplomatique, avril 1997.
  • [52]
    Paris, 1998.
  • [53]
    Le Monde diplomatique, décembre 1999.
  • [54]
    Perspectives économiques de l’OCDE, 71, juin 2002, p. 196.
  • [55]
    The Economist, 20 mars 1999, p. 73.
  • [56]
    Cf. A. Laffer et J. Seymour, The Economics of the Tax Revolt : a Reader, New York-San Diego, Harcourt Brace Jovanovich, 1979. Sur la critique des conceptions de A. Laffer, voir par exemple Michael Krätke, « Steuern sind zum steuern da ! », in Detlev Albers et al. (éd.), Sozialismus der Zukunft, Berlin, SPW-Verlag, 1988, p. 122-125.
  • [57]
    Cf. Sven Steinmo, Taxation and Democracy, New Haven-Londres, Yale University Press, 1993, p. 30, et KPMG, KPMG’s Corporate Tax Rate Survey, janvier 2002, accessible sur le site Internet de KPMG.
  • [58]
    Cf. S. Steinmo, Taxation and Democracy, op. cit., p. 30, et The Economist, 21 décembre 1996, p. 110.
  • [59]
    Cf. Réjane Hugounenq et al., « Les risques de la concurrence fiscale en Europe », Problèmes économiques, n° 2.644, 15 décembre 1999, p. 2.
  • [60]
    Voir par exemple Financial Times, 26 octobre 1995, et Der Bund, 3 mars 2001.
  • [61]
    A. Bauler, Les Fruits de la souveraineté nationale, Luxembourg, Caisse centrale Raiffeisen, 2001, p. 269.
  • [62]
    Calculé à partir de Joseph Jung, Von der Schweizerischen Kreditanstalt zur Credit Suisse Group, Zürich, NZZ Verlag, 2000, p. 93, et de Banque nationale suisse, Les Banques en Suisse, 2000, Zurich, 2001, p. A153.
  • [63]
    The Nation, 18 juin 2001, ainsi que Ronen Palan, « Paradis fiscaux et commercialisation de la souveraineté de l’État », L’Économie politique, 15, 2002, p. 79.
Français

Résumé

Le processus de mondialisation et de financiarisation du capitalisme depuis deux à trois décennies s’accompagne d’une crise financière chronique de l’État. Cette crise renvoie, certes, à un facteur d’ordre économique, le ralentissement de la croissance entrecoupé de sévères récessions. Mais elle est également la résultante de deux autres phénomènes que le présent article se propose d’étudier à partir du cas des pays membres de l’OCDE. Il s’agit d’une part de l’adoption progressive, dès la seconde moitié des années 1970, d’une nouvelle ligne de conduite en matière de finances publiques, consistant à limiter les recettes fiscales de façon à creuser les déficits étatiques. L’objectif étant d’établir ainsi un climat politique et idéologique favorable à la diminution des dépenses, avant tout sociales, des collectivités publiques et au déplacement de la charge fiscale au bénéfice des détenteurs de capitaux. D’importants pas ont été accomplis dans cette direction. Cette crise plonge ses racines, d’autre part, dans le fait que le processus de mondialisation-financiarisation entrave l’imposition des entreprises et des bénéficiaires de hauts revenus en multipliant leurs possibilités d’évasion et de fraude fiscales et en exacerbant la concurrence fiscale internationale à laquelle se livrent les pouvoirs publics.

Deutsch

Zusammenfassung

Der Prozess der Globalisierung und Finanziarisierung des Kapitalismus ist seit drei Jahrzehnten von einer chronischen staatlichen Finanzkrise begleitet. Diese Krise ist sicherlich auf ökonomische Faktoren zurückzuführen, wie eine Verlangsamung des Wachstums, verbunden mit schweren Rezessionen. Aber sie ist auch das Ergebnis zweier anderer Phänomene, wie dieser Artikel am Beispiel der OECD-Mutgliedsstaaten zeigt. Es handelt sich zum einen um eine seit den 1970er Jahren schleichende Annahme neuer Richtlinien für öffentliche Finanzen, die darin besteht, die Steuereinnahmen zu begrenzen, um das Staatsdefizit zu vermindern. Das Ziel besteht darin, ein politisches und ideologisches Klima zu schaffen, dass die Verminderung der Staatsausgaben, und hier vor allem der Sozialausgaben, unterstützt und eine Veränderung der Steuerbelastung zugunsten der Kapitalbesitzer befördert. Wichtige Schritte sind in diese Richtung bereits unternommen worden. Die Krise hat ihre Wurzeln anderenorts, in der Tatsache des Prozesses der Glabalisierung-Finanziarisierung, welcher die Besteuerung von Unternehmen und hohen Einkommen untergräbt, indem die Möglichkeiten zur Steuerflucht und Steuerhinterziehung sich vervielfachen, und indem sich die Konkurrenz um die Besteuerung unter den Ländern verschärft.

Español

Resumen

Desde hace veinte o treinta años, el proceso de globalización y financiarización del capitalismo conlleva una crisis financiera del Estado que se ha tornado crónica. Desde luego, esta crisis remite a un factor de orden económico : la desaceleración del crecimiento económico, entrecortada por agudas recesiones. No obstante, también es la resultante de otros dos fenómenos, que el autor de este artículo se propone estudiar a partir del caso de los países miembros de la OCDE. Se trata, por un lado, de la progresiva adopción –a partir de la segunda mitad del decenio de 1970– de una nueva línea de conducta en materia de finanzas públicas, que consiste en limitar los ingresos fiscales, incrementando así el déficit de cada Estado. Esto tiene por objetivo instaurar un clima político e ideológico favorable a la reducción del gasto público –ante todo el que las colectividades públicas destinan a políticas sociales–, así como al desplazamiento de las cargas fiscales que beneficia a quienes detentan los capitales. Se han dado grandes pasos en esta dirección. Por el otro lado, dicha crisis se origina en el hecho de que el proceso de globalizaciónfinanciarización obstaculiza el gravamen de las empresas y de quienes tienen elevados ingresos, pues incrementa su posibilidad de evadir impuestos y defraudar al fisco, al mismo tiempo que exacerba la competencia fiscal internacional a la que se libran los poderes públicos.

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2010
https://doi.org/10.3917/arss.146.0051
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