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Selon la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le handicap se définit comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
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Selon le Rapport mondial sur le handicap de 2011, il s’agit d’une notion complexe et multidimensionnelle dont la prévalence est estimée à 15 % de la population mondiale. Si ce rapport produit une information complète, statistique et réglementaire sur « le handicap », il n’informe en rien sur le vécu des personnes handicapées. Qui sont les porteurs de handicaps, visibles et/ou invisibles ? Comment une même notion peut-elle regrouper des formes d’expression du handicap toutes différentes et uniques ? Que signifie se sentir « stigmatisé » ? Comment la société inclut-elle les personnes handicapées ? Comment l’enfant perçoit-il le handicap qui l’entoure ? Quelles sont les spécificités du travail de psychothérapie avec les personnes handicapées ?
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Ce dossier ne prétend pas répondre à l’ensemble de ces questions, mais propose trois références pour amorcer une réflexion : le premier texte de Simone Korff-Sausse balaie les principaux enjeux de la clinique psychologique du handicap. Le second article adopte le point de vue de l’enfant sur le handicap. Le dernier article interroge la place du regard que la personne handicapée porte sur elle et reçoit des autres.
De l’intégration à l’inclusion
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Le paysage du handicap a changé en profondeur dans les dernières décennies. Le texte de la psychanalyste Simone Korff Sausse, publié dans Le Carnet Psy, présente cette évolution en soulignant le passage du modèle de l’intégration au modèle de l’inclusion du handicap dans la société. Intégration, inclusion, ces notions abstraites ont des effets très concrets pour les personnes handicapées.
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En effet, le modèle de l’intégration implique la mise en place de dispositifs, de soins et de rééducations dans le but de faire une place à la personne handicapée dans la société dans laquelle elle vit. Dans cette approche, le handicap est perçu comme « une situation associant une personne dite “ handicapée ” à des barrières environnementales » qui doivent être assouplies.
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À l’inverse, l’inclusion vient des approches anglo-saxonnes. Elle propose un modèle issu des « disability studies » et met les personnes handicapées au centre de la société. Celles-ci forment des groupes minoritaires, dotés de leur identité et de leur culture propre. Pour le résumer simplement, disons que dans le modèle de l’intégration, c’est la personne handicapée qui doit s’adapter à la société, tandis que dans le modèle de l’inclusion, c’est la société qui doit s’adapter à la personne handicapée.
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Une fois ces éléments précisés, l’article s’interroge sur la place de la psychanalyse face à la question du handicap. Depuis un demi-siècle, la psychologie clinique et la psychopathologie se sont intéressées à de nouvelles situations cliniques. Le handicap en fait partie. La psychothérapie des personnes handicapées s’est fortement développée, amenant avec elle cette observation importante : les personnes en situation de handicap amènent beaucoup de matériel dans la relation clinique. Elles cherchent à comprendre leur singularité, leurs anomalies, leurs différences et s’engagent dans un intense travail psychique sur leur corps et leur identité.
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L’auteur plaide en faveur d’une approche psychanalytique du handicap afin que les personnes concernées puissent s’exprimer pleinement au sujet de leur handicap. Afin, surtout, que l’on tienne compte des traces inconscientes laissées par le handicap dans leur vie psychique.
Simone Korff Sausse est psychanalyste, ancienne maitresse de conférences à l’Université de Paris, elle est l’auteur notamment de l’ouvrage Le miroir brisé (Calmann-Lévy, Paris : 1996)
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Pour aller plus loin
L’enfant face à l’énigme du handicap
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Comment l’enfant voit-il le handicap ? Qu’en comprend-il ? Qu’en ressent-il ? Les travaux sur le développement de l’enfant montrent que ce dernier ne voit son handicap qu’à travers le regard et la parole des personnes qui prennent soin de lui. Des adultes, donc. La thèse de l’article de Régine Scelles, paru dans la revue Contraste, est la suivante : plus l’enfant peut s’interroger sur le handicap, mieux il le vivra.
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De cet article d’une grande richesse pour les parents handicapés ou ayant un enfant handicapé, retenons un élément inattendu et passionnant. Aux yeux de l’auteur, le handicap peut être perçu par l’enfant comme un « troisième sexe ». Les enfants confrontés au handicap comprennent qu’il existe une catégorie de personnes qui dépassent la binarité (homme/femme). Régine Scelles illustre cela avec les mots d’un patient qui affirme : « Mon frère est un garçon, moi je suis handicapé ». L’enfant qui tient ces paroles met le handicap en lien avec l’énigme que suscite pour lui la différence des sexes. On peut y voir une façon de s’emparer de la différence et de chercher à lui donner un sens potentiel, provisoire.
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Pour la psychanalyste, la question n’est pas de savoir si cette façon de voir les choses est vraie ou fausse, mais si elle est toxique ou non, si elle suscite une honte ou si elle atténue le malaise de l’enfant.
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Tout au long du texte, l’auteure réaffirme sa conviction : il faut parler aux enfants du handicap. C’est en leur parlant qu’on leur permet de se saisir de ce qui leur arrive, d’en bâtir une histoire, des fantasmes et de donner un sens à leur expérience intérieure. Certes, les raisons de ne pas en parler sont nombreuses : peur de mal faire, crainte d’être incompris ou submergé d’affects, etc. Mais le silence, les non-dits, l’absence de mots ont des effets destructeurs que l’on sous-estime parfois. Rien n’abime autant que de souffrir en silence.
Régine Scelles était professeure de psychopathologie, à l’Université de Paris Nanterre, Laboratoire CLInique PSYchanalyse Développement (CLIPSYD), EA 4430. Elle a codirigé la Fédération de recherche EPN-R, fédération pluridisciplinaire. Elle a dirigé la revue Dialogue et elle était l’un des membres fondateurs du Séminaire Interuniversitaire International sur la Clinique du HAndicap (SIICLHA).
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Pour aller plus loin
Handicap et stigmatisation
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Pourquoi le handicap suscite-t-il la stigmatisation ? Dans un article publié dans Cliniques méditerranéennes, Marcela Gargiulo rappelle d’abord que la personne handicapée est souvent présentée comme étant l’objet de la stigmatisation. Cette façon d’aborder le handicap est restrictive. Selon l’auteure, la stigmatisation est un processus complexe qui relie d’un côté un porteur de stigma — la personne handicapée — et, de l’autre, le regard porté sur le stigma par une personne non handicapée. Le stigma ne peut pas être résumé à une blessure, une trace ou une atteinte physique, mais doit être envisagé comme le résultat d’une relation à double polarité entre une personne qui regarde et une personne qui est regardée.
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Contrairement à une idée reçue, la personne handicapée n’est pas « passive ». Elle joue un rôle et participe à la relation de stigmatisation qui, dans bien des cas, la fait souffrir. Certes, chacun réagit de façon différente à la stigmatisation. Mais une chose est certaine : le handicap pousse la personne handicapée à s’autostigmatiser, c’est-à-dire à internaliser les croyances discriminantes de la société sur sa propre personne. Elle se met ainsi à se dévaloriser et perdre son estime d’elle-même. La personne stigmatisée peut avoir recours à des tactiques de dissimulation de son handicap qui ne font que renforcer l’exclusion de la société. Le texte aborde le sujet d’une façon complexe, dense et précise afin de cerner les processus psychiques en jeu pour la personne handicapée.
Marcela Gargiulo est professeure de psychologie à l’Université de Paris, Institut de psychologie, Laboratoire de Psychologie clinique, Psychopathologie, Psychanalyse (PCPP), EA 4056, et psychologue clinicienne à l’Institut de Myologie et au Département de Génétique à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière.
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Pour aller plus loin